Venue tout droit d’Australie et créée par le jeune comédien Josh Thomas, Please Like Me est une sitcom s’attachant à des sujets importants (l’homosexualité et les maladies mentales, entre autres) avec énormément d’humour et de sensibilité. Les quatre saisons sont disponibles sur Netflix.
La scène d’ouverture nous présente Josh, 20 ans, en train de se faire larguer par sa copine de longue date. Elle liste ses raisons, en terminant par :
— Also, you’re gay.
— No. No, I’m not.
— Josh, you’re probably gay !
(« Et aussi, tu es gay. » « Mais non. Non, non. » « Josh, tu es probablement gay ! »)
Josh regarde la terrasse autour de lui, puis l’énorme coupe de glace à partager qu’on vient de leur apporter.
— Well, this 19$ sundae is suddenly pretty fucking humiliating.
(« Hé bien, cette coupe de glace à 19 dollars est devenue vachement humiliante, d’un coup. »)
Puis il mange quand même sa glace, parce que faut pas déconner. Le truc, c’est que gay, il l’est vraiment. Plus tard dans la journée, il rencontre un très joli garçon, qui s’introduit dans son lit comme un ange tombé du ciel pour le forcer à confronter son identité sexuelle. Au réveil, encore sonné, Josh a une dizaine de messages vocaux de son père. Sa mère, diagnostiquée maniaco-dépressive, a fait une tentative de suicide.
Toute la série est comme ça : on navigue sans arrêt entre des moments drôles et gênants, et des situations beaucoup plus sérieuses, auxquelles les personnages font face dans un désarroi total. Les parents de Josh sont divorcés, et il est fils unique. Il lui incombe donc de surveiller sa mère pendant sa convalescence. Tout en explorant son homosexualité toute neuve et en vivant sa vie mouvementée d’adolescent attardé.
Mais ce pitch ne vous révèle pas le plus important : le ton de la série. L’acteur principal, Josh Thomas, est aussi le créateur et scénariste en chef de la série. Son meilleur ami, Tom, est joué par Thomas Ward, le vrai meilleur ami du vrai Josh Thomas dans la vraie vie. La mère de Josh Thomas est vraiment maniaco-dépressive, Josh Thomas a vraiment réalisé qu’il était gay sur le tard, etc. Le tout est très auto-fictif, et ça se sent de la meilleure des manières : la série est d’une authenticité confondante. Bien loin des scénarios hyper travaillés des sitcoms américaines, les épisodes de Please Like Me sont tout sauf standards : ici pas d’intrigue en trois actes, pas de retour au statu quo . On regarde quelque chose de vraiment neuf, dont le rythme et les codes ne nous sont pas familiers : l’effet est tout à fait réjouissant. Bien que les enjeux soient quotidiens, j’ai rarement été aussi surprise par une série, ou investie émotionnellement. Parce que c’est proche de nous, justement.
Ça se sent aussi dans la direction d’acteur. Les personnages ne cessent de balbutier, de se couper les uns les autres, et les dialogues sonnent vrais. Les blagues sont hilarantes, mais elles ressemblent aussi à quelque chose qu’un de vos potes dirait réellement. (« I’m gonna miss vaginas, soupire Josh. They’re just so convenient, you know ? Just so nifty… ») (« Les vagins vont me manquer. Ils sont juste tellement pratiques, tu sais ? Si astucieux…)
Le coming out graduel de Josh (se l’admettre à lui-même, puis l’annoncer à ses amis, à ses parents) est particulièrement réussi. Ce n’est pas qu’il soit très réprimé ou que ses parents soient homophobes. Les conditions pour son coming out sont, somme toute, aussi bonnes qu’elles pourraient l’être. Mais voilà, c’est tout de même compliqué. La découverte de son homosexualité est traitée ici comme une perturbation profondément personnelle et, en adoptant un point de vue aussi intime, la série permet une empathie totale avec le personnage, même de la part de spectateurs non concernés. La série a également été acclamée, à raison, pour la diversité des portraits de jeunes gays et de leurs relations. Zéro clichés faciles, juste des vraies personnes.
Les scènes de sexe parviennent à être explicites sans être démago. Pendant la première nuit que Geoffrey et Josh passent ensemble, une coupure de rasoir au-dessus de la lèvre de Josh s’ouvre et saigne. Les deux garçons s’arrêtent alors et le reste de la nuit est chaste. Josh est mortifié, le public aussi. Please Like Me n’oublie jamais que le sexe, c’est avant tout deux corps qui se cognent à répétition, avec tout ce que ça a de potentiellement inconfortable et gênant.
Enfin, la série brille dans la façon dont elle décrit les maladies mentales. La dépression de la mère de Josh n’est ni tournée en ridicule, ni en une histoire de bravoure ou de guérison méritée. Non, la mère de Josh est dépressive, et elle le restera toute sa vie. Josh doit s’occuper d’elle, c’est courageux, mais ça n’a rien d’héroïque ou de glamour. La série parvient à être drôle sans pour autant nier la tristesse de tout ça. Un épisode de la saison 2 met en scène le couple mère-fils lors d’une longue randonnée dans un canyon tasmanien — un huis clos à ciel ouvert, sur des paysages époustouflants. Même si la mère et le fils finissent par aborder des sujets très durs, comme les multiples tentatives de suicide de sa mère, il n’y a pas de grands moments cathartiques, pas de grands discours. A la fin, quand ils repartent, rien n’est réglé. Parce que les maladies mentales ne se règlent pas. C’est juste quelque chose avec lequel on vit.
Et s’il y a une phrase qui peut résumer l’atmosphère si touchante de Please Like Me , c’est celle-ci : Il faut vivre avec ça, c’est tout. Et Josh vit. Merci à lui.
L'été d'Aylin Manço