La rétrospective culturelle 2025 de Roman
Cœur d’antidépresseur

Au terme d’une année chaotique pendant laquelle la culture et la santé des gens ont été maltraités, voici, en cinq temps, mes coups de cœur. Ils sont pour toi : une rétrospective culturelle adressée à une âme en questionnement.
Au terme d’une année chaotique pendant laquelle la culture et la santé des gens ont été maltraités, voici, en cinq temps, mes coups de cœur. Ils sont pour toi : une rétrospective culturelle adressée à une âme en questionnement. Ma manière de dire mon attachement à ta vie et de lutter, avec toi, contre la déprime, contre toutes les violences minuscules du quotidien. Cinq façons de tordre le « l » de ta douleur pour retrouver le sens de la douceur. Cinq façon, en musique comme en images, de chasser les ombres qui rôdent dans nos esprits et de tenir tête aux nuits trop longues...
L’Étranger d’Ozon
Pour commencer, il fallait te rappeler que ce monde est parfois terriblement absurde. Sur le grand écran des salles obscures, L’Étranger d’Ozon raconte l’histoire d’un homme détaché de tout, condamné non pour un crime, mais pour n’avoir pas su pleurer à l’enterrement de sa mère. Je te vois aussi retenir tes larmes, mais pas par indifférence. Oui, le « silence déraisonnable du monde » nous écrase. Cette adaptation de la pensée de Camus nous montre toutefois que la sensibilité n’est jamais une faiblesse. Certes, le noir et blanc du film renvoie une image plus terne de la vie… mais les acteurs (Benjamin Voisin, Rebecca Mardre, Pierre Lottin), eux, sont brillants. Rien n’est parfait – ni ce film, ni nous, ni même notre façon d’affronter le quotidien. Mais il nous oblige à relativiser notre propre inadéquation à la société. Toi, moi, et tant d’autres encore, nous sentons parfois comme Meursault, étrangers à ce monde… Même si on aime trop Camus pour apprécier le film d’Ozon, la mise en image de l’absurde peut faire naître en nous une révolte douce, une énergie que je veux te partager pour affronter chaque matin.

L’exposition à Bozar, Luz y sombra
L’exposition Luz y sombra était pour nous une descente au cœur d’une âme conflictuelle. Au long des galeries de Bozar, les portraits mondains côtoient ceux des petites gens de l’Espagne du XIXᵉ siècle. Mais plus qu’une rétrospective, l’actuelle exposition fait dialoguer Goya avec ses héritiers : Eugenio Lucas Velázquez, Ignacio Zuloaga, Picasso, Marisa González, et d’autres encore. Un hommage collectif peuplé de démons intérieurs qui prennent souvent le visage du quotidien. Les paysages abrupts, les funambules au-dessus du vide, les précipices sans fond… illustrent notre malaise face au vide de l’existence. Le sommeil de la raison produit des monstres rend visibles ces nuits où l’esprit tourne en rond. Et L’Enclos des fous nous interpelle par son inhumanité d’autrefois. Le mal-être est à peine mieux écouté de nos jours. Pilules contre l’angoisse et cachets pour le sommeil sont devenus nos nouvelles échappatoires. Enfin, entre flamenco et corridas, taches de peinture noire et portraits dérangeants, la Maja vestida clôt la visite. Placide, elle nous lançait son doux regard, peut-être envieux de nous… qui trouvions la sortie de ce dédale de toiles.

Lux, Rosalía
Pour percer la brume qui encombre tes pensées, nous écoutions Lux, ce petit bijou de Rosalía. Pari audacieux : mêler pop et musique classique, treize langues, et la puissance du prestigieux Orchestre symphonique de Londres. Un album polyphonique qui a le pouvoir d’accompagner une âme délicate vers un peu de clarté. La liturgie de ces chansons semblait t’apaiser. Entre « Bergheim », « Reliquia » et « Divinize », Rosalía chante ce qu’il y a de plus fragile en nous. Il faut une écoute calme, presque recueillie, pour se laisser transporter. Sa voix, cristalline et fébrile, exprime nos contradictions : la foi, l’amour, la colère. L’intensité est dramatique mais elle t’offrait cet espace où méditer, respirer, réfléchir à ce que pourrait être une spiritualité contemporaine. L’album s’intitule Lux, « lumière » en latin, et c’est exactement ce qu’il apporte : une présence rayonnante, une percée à travers les doutes qui t’enserrent.
Le Fantôme de l’Opéra
Un peu de voyage : au revoir Bruxelles, au revoir le Théâtre Royal du Parc, nous voilà transportés dans l’Opéra Garnier, à Paris. Une pièce pleine de promesses, un spectacle hybride. Sous la mise en scène de Daphné d’Heur et les lumières de Philippe Catalano, Cyril Collet et Romina Palmeri donnent chair au Fantôme et à Christine – sa muse qui chante la vie. Des escaliers noirs pivotants, des égouts mystérieux, et un ballet de jeunes danseuses entre ombre et flamme, « la Bohème » se teinte alors de gothique. Vêtu de nuit, le Fantôme surgit de la pénombre. Entre les candélabres, il dévoile son visage brûlé. Ce n’est finalement qu’un homme blessé, un passionné tourmenté. Nous tremblions d’émotion devant la violence de son désir pour la cantatrice et la douleur de son abandon. Cet opéra-théâtre moderne te tirait un instant hors de ta propre tristesse en montrant la beauté qui peut naître de la fêlure. Pour apaiser ce drame poétique, la pièce se termine sur Lakmé, « Duo des fleurs ». Mémorable. Pièce après pièce, ton âme se répare. Et cela prend du temps. Mais souviens-toi de ce que disait un philosophe pour clôturer sa plus grande œuvre : « Tout ce qui est beau est difficile autant que rare. »

Candlelight : Tribute to Adele
On termine par une dernière envolée. Dans l’Hôtel de Ville de Bruxelles résonnent les notes d’Adele : « Skyfall », « Hello », « Set Fire to the Rain », « Easy on Me », et d’autres encore. Un quatuor réinvente la puissance émotionnelle de ces chansons, dépouillées de la voix qui les a rendues célèbres. Le scintillement des bougies et la chaleur des émotions vives éloignent le froid mordant de l’hiver. L’instant est magique. C’est une évasion, la conclusion d’un parcours d’images, de musiques, de salles obscures… Autant de tentatives pour t’accompagner dans ta traversée vers cet « en bas ». Seulement, tu n’es pas là. Pas cette fois. Le concert s’achève sur « Rolling in the Deep ». Je me sens plus vide que le siège à mes côtés. Le masque tombe. Mes joues, comme les chandelles, se mettent doucement à fondre. Mais ce n’est que partie remise... 2026 est à nos portes. D’autres occasions, d’autres lumières se profilent pour traverser avec toi cette détresse que je comprends et que je ne laisserai jamais te définir.
