critique &
création culturelle

Robbie d'Olivier Bruneau et Émilie Gleason

Quand la mort s'habille en clown triste

Robbie, écrit par Olivier Bruneau et illustré par Émilie Gleason, nous plonge dans un univers insolite où un enfant zombie cherche à donner un sens à la vie, ou plutôt à la mort. Cette bande dessinée, sortie en septembre 2023, joue habilement avec l’oxymore entre Eros et Thanatos pour explorer la quête de soi avec une dose d’absurdité.

L’histoire commence avec Robbie, un enfant qui se réveille soudainement dans son cercueil. Comment est-il revenu à la vie ? Pourquoi est-il mort ? Ces questions mystérieuses lancent immédiatement l’intrigue. La phase d’introduction, par sa maîtrise, instaure un climat de curiosité tout en mettant la barre haute pour les attentes du lecteur. Le scénario, savamment distillé, maintient un suspense constant, et parvient à surprendre tout en provoquant des émotions. Ainsi, en refermant Robbie, le lecteur se retrouve paradoxalement soulagé, pour la première fois, de voir un enfant zombie mourir une seconde fois. Une fin dérangeante, certes, mais poétiquement belle.

Le personnage de Robbie, avec son teint cadavérique mais sa personnalité haute en couleur, s’éloigne des héros traditionnels. À l’image d’une poupée de chiffon, il se fait balader de péripétie en péripétie. Son style morbide et son esprit enfantin lui confèrent un caractère imprévisible, ce qui rend chaque aventure unique et surprenante. Ce qui distingue Robbie, c’est précisément cette imprévisibilité qui défie toutes les attentes. Cependant, il n’est pas le seul personnage marquant de cette bande dessinée. De nombreux autres protagonistes gravitent autour de lui, chacun avec une identité forte et distincte. Leur diversité est telle que l’on peut presque tous les retrouver sur la couverture de l’ouvrage. Après avoir terminé le livre, on comprend que cette couverture donne des indices subtils sur l’histoire, voire même sur son dénouement. On pourrait s’amuser à l’analyser pour anticiper certains éléments de l’intrigue, mais attention à ne pas trop en dévoiler si vous préférez éviter les spoilers !

L’ambiance de la bande dessinée est immédiatement palpable grâce aux dessins saisissants d’Émilie Gleason. Dès les premières pages, l’atmosphère sombre et oppressante s’impose. L’univers diégétique semble s’échapper du dessin pour envelopper le lecteur dans un monde à la fois dérangeant et captivant. En tant que fan de Tim Burton, j’ai retrouvé ici des similitudes frappantes avec son univers : une fascination pour le macabre et une dédramatisation de la mort, souvent tournée en ridicule. Par exemple, le personnage de la grande faucheuse ressemble plus à un vendeur de porte-à-porte qu'à l’iconique figure terrifiante.

L’humour noir, omniprésent, apporte une singularité à l’ouvrage. Tout en étant léger, il est parfois si audacieux qu’il flirte avec le blasphème. Dès les premières pages, nous assistons à une scène où un homme d’église, assis sur les toilettes, libère ses péchés tout en feuilletant Soutane Magazine. Chaque petit détail semble conçu pour ajouter un gag supplémentaire, et l’œil averti prendra plaisir à les découvrir lors d'une seconde lecture. C’est précisément ce genre de subtilités qui rend la relecture de Robbie encore plus savoureuse, car chaque page regorge de clins d’œil discrets. Les auteurs semblent jouir d’une liberté totale pour rire de tout, et cette fraîcheur est un véritable bol d’air.

Cette énergie punk se reflète également dans le style graphique brut et expressif de Gleason. Les personnages, notamment les cadavres, sont représentés par des lignes torturées et griffonnées, exprimant une certaine animosité qui contraste avec les traits plus doux des héros, Robbie et son amie. L’un des moments graphiques les plus marquants est sans doute la scène du train fantôme. Les pages, teintées de gris, plongent le lecteur dans une obscurité oppressante, accentuant la sensation de malaise. Un personnage effrayant y fait une apparition particulièrement perturbante, et je dois avouer que j’ai été bien plus troublé par ce train fantôme dessiné que par ceux des fêtes foraines avec leurs araignées en plastique.

Les illustrations brutales, appuyées par des jeux d’ombres, renforcent l’aspect à la fois dérangeant et émouvant de l’histoire. Elles capturent l’essence de Robbie et l’atmosphère morne de son univers post-mortem. En lisant cette bande dessinée, j’ai été totalement absorbé par le voyage intérieur de Robbie. J’ai ressenti son désarroi, ses aspirations à retrouver une place dans un monde qui l’a rejeté. Cet enfant, seul et sans ses parents, est prisonnier d’un univers qui ne peut pas l’intégrer simplement parce qu’il est mort.

Avec Halloween qui approche, Robbie pourrait bien devenir une lecture incontournable. Cette bande dessinée parvient à mélanger effroi, douceur et humour avec une habileté rare. En fin de compte, Robbie nous invite à réfléchir à la mort, non pas avec peur, mais avec une légèreté déconcertante, tout en nous faisant rire. Comme Shrek, qui était à l’origine une bande dessinée avant de devenir le célèbre film d’animation, je verrais bien Robbie adapté sur grand écran. Quand j’étais plus jeune, l’idée de l’au-delà m’effrayait. Mais c’est en découvrant les œuvres gothiques de Tim Burton que j’ai pu appréhender cette peur sous un angle plus amusant et léger. Robbie m’a offert cette même sensation : celle que seules les œuvres profondément humaines peuvent nous procurer face à l’imaginaire macabre de la mort. Tim Burton, si tu nous lis, tu sais ce qu’il te reste à faire !

En fin de compte, Robbie nous rappelle que la mort, bien qu'effrayante, peut aussi être une source de réconfort et d'amusement. L’humour noir et la beauté macabre de cette BD en font une œuvre unique, où le tragique se mêle au comique, et où, paradoxalement, la mort nous rappelle à quel point la vie est précieuse.

Robbie

Scénario de Olivier Bruneau
Illustrations de Émilie Gleason
Virages graphiques, 2023
112 pages

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