critique &
création culturelle

Skunk de Koen Mortier

Les 400 coups à la mode de chez nous

Se faisant une place très discrète dans les programmations bruxelloises1Skunk, le nouveau film du flamand Koen Mortier, est pourtant important. La violence y est crue, sans être gratuite. Elle semble nécessaire quand ces images sont basées sur des observations bien réelles du réalisateur, qui s’est immergé dans les institutions médico-légales pour jeunes flamands avant de commencer à tourner.

« Skunk », c’est le mot pour désigner la moufette, en anglais. Ce petit mammifère noir et blanc qui projette un liquide puant quand il se sent en danger. Liam, interprété par Thibaud Dooms, est la focale de cette histoire. Il nous est introduit en sang, maigre, montant péniblement les marches d’un escalier d’une cave, vêtu seulement d’un caleçon sali d’une tache brune. Liam se chie dessus, comme il le dit lui-même : c’est son mécanisme de défense. Et Liam fera de « Skunk » sa signature, s’appropriant cette faiblesse pour en faire une arme.

Liam a 13 ans et est tiré hors de son environnement familial, d’une violence hystérique, pour intégrer un centre médico-légal pour jeunes. Il s’y retrouve face à une vingtaine d’autres garçons de son âge. Seul le parcours de Liam sera détaillé, mais on peut s’imaginer que tous les autres sont plongés dans des réalités bien trop dures également. Alors chacun y fait face comme il peut : brûler des choses ou harceler les autres, par exemple. Avec ce nouvel entourage, Liam peut se sentir compris. Mais il côtoie aussi un espace dans lequel contrôler ses émotions, et les enfouir profondément, est devenu une question de vie ou de mort. La goutte d’eau qui fera déborder le vase est imprévisible.

Et ça explose. Souvent, même. Les séquences de violence s’enchaînent, entre jeunes surtout, puis aussi dans des flashbacks familiaux. La bande-son post-métal, signée Amenra, leur apporte beaucoup d’énergie. La brutalité est comme chorégraphiée, tout en restant très honnête. Koen Mortier fait alors croire aux spectateur·ices qu’il a réussi à banaliser la violence. Ce qu’il fait, c’est sûr. Mais en même temps, tout au long du film, on se persuade qu’on ne pourra pas voir pire, et finalement les moments les plus doux deviennent inquiétants, on craint que ça dérape, on reste alerte. Quand c’est le cas, c’est dur de concevoir qu’un enfant puisse subir un quotidien comme celui-là.

Cette réalité, parfois trop cruelle, est tirée du roman éponyme de Geert Taghon, un médecin qui a travaillé plus de 20 ans dans des centres de psychiatrie légale en Flandre. Taghon aurait envoyé son histoire à Koen Mortier il y a quelques années, introduite par cette simple phrase « chaque enfant a une histoire ». L’auteur, par ses observations, puis maintenant le cinéaste, en les narrant, exposent ces vies négligées. Quand Mortier propose aux commissions ce sujet difficile mais crucial à ses yeux, on lui répond d’abord que personne ne sera intéressé·e par une histoire sur « ces gens ». « Ces gens » pour qualifier des adolescent·es maltraité·es quotidiennement, c’est un choc révélateur d’une urgence pour lui. Au-delà de sa sortie au cinéma, l’équipe du film continue à se mobiliser sur Instagram, pour faire parler d’eux certes, mais également pour attirer l’attention sur les questions d’aide à la jeunesse.

Le récit trouve aussi sa force dans l’interprétation irréprochable des acteur·ices. Thibaud Dooms (Liam), est envoûtant, avec ses yeux ronds et clairs, son regard décidé et apeuré, parfois révolté, parfois démuni. Malgré quelques scènes qui servent moins au récit, son alchimie avec l’accompagnatrice Pauline (Natali Broods), ainsi qu’avec ses parents (Colin H. Van Eeckhout & Sarah Vandeursen), est crédible et lui permet un rayon de lueur supplémentaire. La familiarité des paysages, de la langue (malgré un jargon méconnu de Flandre Occidentale) et de la culture nous plongent probablement davantage dans la réalité.

Silence pesant dans la salle, le générique touche à sa fin. Je ne sais ce qui traverse l’esprit de chacun·e, mais il est assez rempli que pour empêcher des conversations mondaines de fin de séance. Skunk est une piqûre de rappel, une piqûre indispensable mais qu’on peine à recommander. Notre propre mécanisme de défense peut-être, mais ne faudrait-il pas justement le remettre en question ?

Même rédacteur·ice :

Skunk

Réalisé par Koen Mortier

Inspiré du livre éponyme de Geert Taghon

Avec Thibaut Dooms, Natali Broods, Colin H. Van Eeckhout, Sarah Vandeursen, et Soufian Farih

Belgique, 2023

105 minutes

 

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