The Tragedy of Macbeth
une adaptation d’une violente simplicité
The Tragedy of Macbeth est la dernière adaptation au cinéma de la célèbre pièce de Shakespeare. Dans ce premier film réalisé en solo, Joel Coen propose une version épurée mais d’autant plus puissante de ce récit où la promesse de pouvoir est source de déshumanisation.
Au retour d’une bataille dont ils sortent victorieux, les généraux écossais Macbeth et Banquo croisent la route de trois sorcières. Celles-ci prédisent à Macbeth qu’il deviendra baron de Cawdor puis roi, et à Banquo qu’il engendrera une lignée de rois. Peu après, Macbeth est en effet nommé baron de Cawdor par le roi Duncan. Poussé par son épouse, Lady Macbeth, il met alors tout en œuvre pour que la suite de la prophétie se réalise à son tour et assassine Duncan pour prendre sa place sur le trône d’Écosse. Cette trahison funeste le plonge dans une folie meurtrière qui lui sera fatale. D’avoir voulu la couronne, Macbeth en perdra la tête.
The Tragedy of Macbeth nous offre une version certes raccourcie mais très fidèle au texte original. Le phrasé de Shakespeare sonne étonnamment naturel grâce à l’impeccable énonciation des acteurices. Cependant, les formulations imagées exprimées en vieil anglais rendent la compréhension un peu difficile malgré l’aide du sous-titrage. S’il est possible de suivre l’histoire sans avoir jamais lu ou vu Macbeth auparavant – ce qui était mon cas –, il est plus confortable de déjà en connaître la trame générale.
Ce long-métrage est admirablement porté par deux grandes figures du cinéma, Denzel Washington (Macbeth) et Frances McDormand (Lady Macbeth). C’est d’ailleurs cette dernière qui a convaincu son époux, Joel Coen, de travailler sur cette pièce de Shakespeare qu’elle a déjà jouée au théâtre . Joel Coen se lance ici dans sa première réalisation en solo après que son frère Ethan, avec lequel il a travaillé sur une vingtaine de films dont Fargo , The Big Lebowski ou encore le récent La Ballade de Buster Scruggs , a annoncé mettre sur pause sa carrière dans le cinéma pour se consacrer notamment à l’écriture pour le théâtre .
Le charme et l’originalité de cette adaptation se situent dans sa forme épurée qui contraste notamment avec celle de Justin Kurzel (2015). Joel Coen ne laisse que peu de place au contexte historique de la guerre qui a lieu en Écosse et refuse les grands déploiements d’action typiques des films grand public. Le vrai conflit se joue ici dans l’esprit des Macbeth. Les occasionnels regards caméra rappellent l’adresse au public dans une pièce de théâtre et renforcent la proximité des spectateurices avec cet anti-héros et sa femme.
De plus, l’intrigue est mise au premier plan grâce à la simplicité de l’image, qui permet de ne pas disperser son attention sur des détails inutiles tout en rendant le récit intemporel et transposable à n’importe quel contexte. Les décors de Stefan Dechant, minimalistes voire dépouillés, se dessinent à coup de formes géométriques et de lignes tranchantes qui renforcent l’atmosphère dramatique, brute et violente. Le fait que ce film est entièrement en noir et blanc vient accentuer cette profondeur sinistre. À travers ces choix, le directeur de la photographie Bruno Delbonnel fait écho au cinéma expressionniste allemand et fournit des images époustouflantes, telles que les motifs dessinés par les arches et les angles du château de Macbeth ou la vue en contre-plongée sur les trois sorcières perchées sur leurs poutres.
Ce jeu sur les contrastes se poursuit dans les transitions, utilisant par exemple avec créativité les mouvements du brouillard blanc qui s’accumule ou la nuit étoilée se fondant dans le sombre manteau du roi. L’évanescence de ces ombres et lumières dessine une ambiance surnaturelle de rêve ou d’hallucination dans laquelle les personnages évoluent comme en transe. Toustes ne sont que de passage sur le devant de la scène de la vie, pantins au bout des fils que manipulent les trois sorcières depuis ce ciel vaporeux où elles tournent comme des corbeaux, prédatrices.
Life's but a walking shadow, a poor player,
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing
1
.
Le réel ne se distingue plus de l’illusion, pour Macbeth comme pour le public. Les sorcières deviennent corbeaux, le sol du château leur sert de chaudron… Le sommet de la confusion est atteint dans une scène où Macbeth (et nous avec lui) croit voir une dague l’incitant à tuer Duncan, dague dont on se rend progressivement compte qu’elle n’est autre que la luisante poignée de la porte menant à la chambre du roi.
À ces visuels s’ajoute une bande-son tout aussi dénudée et marquante. La musique inquiétante composée par Carter Burwell alterne avec des silences que brisent des bruits de pas, cloches ou gouttes de sang, frappant un rythme dont chaque battement nous rapproche de l’inéluctable chute de Macbeth.
The Tragedy of Macbeth est donc une belle manière de (re)découvrir Shakespeare. Bien que le film puisse par moments paraître un peu long, le travail du son et les superbes images sublimées par le noir et blanc font du visionnage une expérience envoûtante. Les prestations de Washington et McDormand sont intenses et prenantes, et pourtant c’est Kathryn Hunter qui vole selon moi la vedette dans sa fascinante incarnation des trois sorcières (l’actrice endosse aussi, méconnaissable, le rôle du vieillard). Sa voix rocailleuse est hypnotique, ses contorsions qu’on croirait inhumaines donnent toute sa puissance au motif de la métamorphose des sorcières en corbeaux. Si j’aurais aimé la voir davantage à l’écran, ses apparitions sporadiques n’en donnent que plus de frissons.