En ce début de festival, un film sombre et étrange venu de Grèce a marqué les esprits avec un personnage principal aux allures de Meursault. The Waiter , premier long métrage de Steve Krikris, a été projeté dans la section Panorama du Cinémamed.
Rénos (Aris Servetalis) travaille comme serveur professionnel pour une des plus anciennes brasseries d’Athènes. Tous les matins, avant de se rendre au boulot, il reproduit méticuleusement les mêmes gestes : il se lève, enfile sa chemise bien repassée et chausse ses bottes en cuire bien cirées. Après sa journée de travail, il retourne dans son appartement pour s’isoler du monde, entouré de ses plantes et de ses dessins collés sur chaque mur. Il n’a pas de réelle ambition. Il avoue même à son collègue qu’il n’a jamais voulu faire autre chose que serveur.
Mais arrive l’élément qui mettra fin à sa routine. Fin observateur, il aperçoit, un soir de retour du boulot, que son voisin de palier, Milan, n’est plus chez lui et qu’un étrange personnage, appelé The Blond, a pris sa place. L’intrigue se poursuit quand le lendemain, en sortant les poubelles, Rénos trouve dans une benne à ordures la main de Milan qu’il reconnait grâce à un tatouage. Secoué, il rentre chez lui mais décide de ne rien dire en laissant les éboueurs de la ville emporter les restes du corps de son voisin. S’ensuit un curieux triangle amoureux dans lequel Rénos est invité contre sa volonté par The Blond à une fête avec Tzina, l’ancienne petite-amie de Milan. SPOILER ALERT :1
Référence à L’Étranger de Camus
Lors de la présentation du film au public, une brève référence à L’Etranger d’Albert Camus a mis en parallèle le personnage principal du film avec Meursault. Il faut dire que cette comparaison n’a sûrement pas dû laisser le spectateur indifférent, surtout lors du visionnage du film où certains tentaient, peut-être, de chercher des liens entre la pensée de Camus sur l’absurde et le personnage de Rénos de Steve Krikris. Après avoir vu le film, nous constatons que cette tentative de donner au personnage une référence à ce roman peut donner du poids au film, mais semble toutefois tiré par les cheveux.
Certes, Aris Servetalis dans The Waiter incarne un personnage autiste et détaché du monde. Tout comme Meursault, on peut voir en Rénos l’image d’un homme solitaire qui aime la nature, surtout quand celui-ci, à l’abri des autres, dessine des feuilles d’arbres et cultive différentes espèces de plantes chez lui. Il reste néanmoins un homme capable de sensibilité malgré l’étrangeté du monde dans lequel il vit. On verra cependant que le parallèle fait avec Meursault n’est que superficiel. Et si Camus confronte Meursault à la mort dans une perspective philosophique, on ne peut pas dire la même chose de Rénos. Nous pouvons penser que le réalisateur cherche plutôt à faire passer un autre message à travers son personnage. Il parle à chacun qui vit peut-être comme le protagoniste dans un appartement, cherchant à éviter tout contact avec les autres. Si le rapport avec Camus n’est clairement pas établi, il est toutefois évident que le film est un appel à ne pas être indifférent sur ce qui se passe à l’extérieur de notre zone de confort. Ne sommes-nous pas un peu tous comme Rénos à rentrer chez nous après une journée de boulot, fatigués, cherchant à fermer les yeux sur les malheurs de ce monde ?
Et contrairement à Camus qui développe une réflexion philosophique à travers l’image du soleil, on peut curieusement voir que dans The Waiter , Steve Krikris privilégie plutôt l’obscurité pour renforcer le caractère d’enfermement et d’étrangeté de ses personnages. Fait étonnant, pour un film grec inscrit dans festival mettant en avant la Méditerranée dans ses apparences de la joie de vivre, la mer, l’été, etc.
Bien loin d’être une fidèle adaptation du célèbre roman de Camus, The Waiter plonge les spectateurs dans une atmosphère morose où le personnage principal est soudainement bousculé par la réalité de la vie. Si le personnage du réalisateur grec est loin d’être quelqu’un de dynamique et de social, il fait néanmoins preuve d’altruisme. En franchissant le seuil de sa porte, Rénos nous plonge dans un monde où la violence et l’amour existent. La leçon que nous pouvons en tirer est que la mort n’est parfois pas très loin de chez nous.