Titane
À sa sortie au festival de Cannes, et plus encore lorsque sa réalisatrice Julia Ducournau a reçu la Palme d’or, Titane a fait à la fois sensation et scandale auprès du public. Ne laissant personne indifférent, les critiques, positives comme négatives, fusent de toutes parts.
Après la diffusion de Grave en 2016, suivant une jeune étudiante vétérinaire qui découvre ses pulsions cannibales, Titane est le second long-métrage de Julia Ducournau. Il confirme l’univers gore que la réalisatrice abordait dans son premier film.
Il est important de souligner que la réalisatrice est attirée par le gore et la monstruosité dès son enfance. Elle s’inspire de Massacre à la tronçonneuse qu’elle regarde en cachette à l’âge de six ans ou encore des Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe. Ses parents étant médecins, elle est influencée aussi par des manuels médicaux, ce qui la mène peu à peu à un thème qui la caractérise aujourd’hui : la transformation du corps.
Titane est un film très controversé, radical et polémique. Parler du ressenti général du spectateur ou de la spectatrice est quasiment impossible. C’est pourquoi j’aimerais partager mon expérience personnelle et tenter de l’expliquer au mieux.
Tout d’abord, le long-métrage peut être divisé en deux parties. La première raconte l’histoire d’Alexia, une jeune femme qui souffre d’un syndrome post-traumatique suite à un grave accident de voiture survenu dans son enfance. Lors de l’opération, les médecins lui greffent une plaque de titane dans le crâne. Un dizaine d’années plus tard, on rencontre Alexia dans son activité professionnelle : la jeune femme est danseuse dans un salon de tuning. Dès les premières minutes du film, Alexia s’en prend violemment à un fan qui la harcèle à la sortie du salon. On comprend subitement que son syndrome post-traumatique la plonge dans une sorte de folie meurtrière.
Cette première partie du film aura été extrêmement violente à regarder. Je ne cache pas qu’à plusieurs moments, j’ai détourné le regard, tellement les scènes étaient sanglantes. À mon sens, la première partie est articulée autour de l’idée que le corps humain est friable et fragile. Ce thème est reflété par la série de meurtres compulsifs que commet Alexia et est amplifié par le son des corps qui se déchirent, se percent et se font écraser par Alexia. Cela en devient presque une chorégraphie d'assassinats, aussi imaginatifs que monstrueux. On identifie la fascination pour le corps qui se transforme, qui change et se désagrège sous les coups de la jeune femme.
J’aimerais souligner le jeu très impressionnant d’Agathe Rousselle qui interprète une Alexia qui semble n’avoir aucune empathie et pour qui tuer devient source de jouissance.
Dans la seconde partie du film, on suit la cavale d’Alexia qui, recherchée par la police pour ses meurtres, décide de changer d’apparence. On croise une nouvelle fois le thème de la transformation du corps, cher à Julia Ducournau. Alexia décide de s’automutiler pour ressembler à un garçon porté disparu depuis plusieurs années. Ainsi, Vincent, chef d’une caserne de pompiers, vient récupérer Alexia, ou plutôt Adrien, son fils.
À partir de ce moment, la narration ne se concentre plus sur les meurtres de la jeune femme mais s’intéresse à la relation entre Vincent et Adrien/Alexia. Vincent Lindon interprète ce vieux pompier dopé aux stéroïdes qui cache une grande sensibilité et le besoin de retrouver son fils. Alexia, quant à elle, se dévoile sous une nouvelle forme puisque l’on comprend qu’elle éprouve en réalité un grand manque d’affection et d’amour, ce qui donne une profondeur au personnage qui, jusque-là, ne se montrait qu’à travers ses pulsions meurtrières.
Cette seconde partie, selon moi, compense les atrocités de la première. On assiste à des scènes de tendresse et d’entraide entre les deux protagonistes, mélangeant l’aspect dérangeant de la situation à de l’humour. Cette relation basée sur le mensonge en vient même à être touchante et sincère.
À la fin de la séance, je n’avais aucune idée de ce que je pensais de ce film. La seule chose que je savais, c’est que Titane ne m’avait pas du tout laissée indifférente. J’étais partagée entre les horreurs et la violence de la première partie qui me chamboulaient encore et la seconde partie beaucoup plus tendre et drôle. Quelques jours après avoir vu Titane , j’avais un peu mieux digéré le film, mais je me demandais ce que la réalisatrice voulait faire passer comme message à travers cette histoire. C’est en visionnant la remise de la Palme d’or à Julia Ducournau qu’on comprend ses intentions : « La monstruosité qui fait peur à certains et traverse mon travail, c'est une arme et une force pour repousser les murs de la normativité qui nous enferment et nous séparent. »
Je trouve les ambitions de la réalisatrice très importantes, elles bousculent les étiquettes et les cases dans lesquelles la société place les personnes qui sortent de la norme. On comprend que Julia Ducournau ne cherche pas à montrer la « monstruosité » gratuitement, mais à s’en servir pour donner une place à ces personnes qui sont marginalisées et brimées par une norme arbitraire.