En occupant trop fréquemment l’actualité cinématographique ces dernières années, Terrence Malick a fini par perdre de son aura. Avec Une vie cachée , il parvient brillamment à réunir émotion et mise en scène qui font de son cinéma un spectacle transcendant.
Après une période de grande prolifération marquée par la réalisation de quatre films depuis sa magnifique palme d'or pour The Tree of Life en 2011, Une vie cachée marque le grand retour de Terrence Malick. Bien qu'il semble dérisoire de parler de retour au vu de l'activité effective du cinéaste ces dernières années, ce terme renvoie à la forme d'accomplissement que le film occupe dans la filmographie du plus mystérieux des célèbres cinéastes américains.
L'abandon du récit
Pour contextualiser le positionnement d' Une vie cachée , il est important de rappeler que l’œuvre de Malick est dissociée en deux grandes périodes d'activités. Premièrement, sur le plan du rythme de travail, Malick a d'abord appris à se rendre insaisissable en proposant six films sur une période de 30 ans. Il a ensuite adopté une posture radicalement opposée, caractérisée par une productivité abondante. Deuxièmement, c'est sur le plan de la construction narrative que Malick a fortement évolué. Ses premières œuvres ( Les Moissons du ciel (1978), La Ligne rouge (1999), Le Nouveau Monde (2005) sont marquées par des histoires emblématiques, bouleversantes et rigoureusement bien scénarisées, permettant au cinéaste de développer les thématiques qui deviendront les fondements de son travail. On peut citer l'amour, la spiritualité, la mort, le deuil, la vie en collectivité... L'ensemble de ces concepts étant liés aux grandes questions qui façonnent le cinéma de Malick : quelles sont nos valeurs et quel est notre rapport au monde qui est le nôtre.
The Tree of Life marque ensuite une rupture, quittant les schémas d'une narration traditionnelle et classique pour lorgner vers l'expérimentalisme et la contemplation pure. Si cette réflexion sur le deuil s'élève clairement comme un des sommets de son cinéma, on peut cependant regretter que le réalisateur se soit précipitamment fourvoyé dans cette brèche abstraite. Knight of Cups (2014) symbolise à ce titre les maux qui contaminent le cheminement du cinéaste, en proposant un spectacle ennuyeux et vide de sens. Les ellipses narratives et les beaux mouvements de steadicam tournent à vide, dans une mécanique où la mise en scène ne permet pas de combler la pauvreté du récit.
L'insoumission au profit de l'union
Une vie cachée s'érige précisément comme la symbiose parfaite entre les obsessions éternelles de Malick et son lyrisme passionné, combinés à son besoin de jouer formellement et temporellement avec les images. Le film narre le récit d'un martyr autrichien du nazisme, Franz Jägerstätter, interprété avec grâce par August Diehl. Habité par sa foi catholique, il va refuser de se soumettre à l'ordre d'Hitler. Résolument décidé à tenir sa posture d'insoumis, le jeune paysan et père de famille se voit emprisonné pour son refus de servir le IIIe Reich. Cet anti-héros de la guerre choisit de suivre sa conscience et sa morale, au détriment de ses obligations politiques et sociétales.
Terrence Malick parvient merveilleusement à mêler l'intensité émotionnelle dégagée par la construction narrative à une mise en scène forte et habitée. On retrouve évidemment les grandes envolées au steadicam ; la caméra qui épie et scrute les gestes, les expressions, les regards. La voix off, qui peut symboliquement être rattachée à une prière, catalyse encore un peu plus la dimension spirituelle qui inonde le film. Des fragments d'images d'archives sont dispersés au cœur de l'histoire, renvoyant ainsi à tous les traumatismes réels qui s'imposent justement comme la cause du refus de la soumission de Franz. Les ritournelles musicales, chéries par le cinéaste, permettent quant à elles de dynamiser le mécanisme du film et de renforcer la puissance émotionnelle d'un récit jouant emphatiquement sur l'affect. On retrouve enfin toute la nature panthéiste de Malick, multipliant avec élégance les plans majestueux de paysages naturels, porteurs de symbolique.
Un parallèle un peu fantasque peut également être établi entre le personnage de Franz et le cinéaste lui-même. Refusant de se soumettre aux normes et aux codes de l'industrie cinématographique, il a toujours vécu dans le secret, à l'abri des regards, sans chercher à respecter les conventions établies par le 7e art (pas de conférence de presse, d'apparition publique, de déclaration officielle...). Bien que Malick ait toujours suivi son instinct et ses émotions pour accomplir son œuvre, sa productivité lui a joué des tours et l'a quelque peu rapproché d'une forme de cloisonnement auquel il a toujours refusé d'adhérer. Sa période de plus grande abondance créatrice concorde avec un passage à vide artistique et réflexif. Si Une vie cachée s'impose comme une œuvre complète et aboutie, il n'en reste pas moins que le style de Malick pointe significativement vers l’essoufflement. Retenons qu'il est agréable de capter à nouveau l'essence d'un cinéaste qui tendait à nous échapper.