critique &
création culturelle
La Montagne
forteresse de solitude et ascension de la liberté

« Tout quitter pour vivre enfin » : dans La Montagne , son deuxième long-métrage, Thomas Salvador entre dans la peau de Pierre, un personnage discret qui voit sa perception du monde changer définitivement.

Pierre, Parisien, est ingénieur. Il descend à Chamonix pour le travail et se découvre une fascination soudaine pour le mont Blanc. Il se promène à la Mer de Glace, rencontre le froid, et se décide à ne pas rentrer avec ses collègues. Au lieu de cela, il s’équipe rapidement et entreprend de s’installer sur la montagne, sous tente, alors qu’il n’avait jusqu’alors aucune expérience en alpinisme. Il se forme, s’offre un équipement plus performant, et finit par ne plus descendre de la montagne du tout. Là-haut, il rencontre Léa (Louise Bourgoin), cheffe du restaurant qui accueille les visiteurs. Elle accepte de prendre en charge son ravitaillement, de lui remonter des vivres. Progressivement, elle se prend d’affection pour cet homme fraîchement tombé sous le charme de la montagne. Grâce à Léa, Pierre sera sauvé.

Salué par la critique, notamment lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes , La Montagne de Thomas Salvador et Naïla Guiguet (sa co-scénariste) est une forme d’aventure initiatique et spirituelle. Pierre s’échappe d’un quotidien morne, de collègues oppressants, d’un frère trop attaché au qu’en-dira-t-on, d’une vie plutôt absurde où rien ne fait plus sens à ses yeux. Dans la montagne, tout semble alors évanescent. Il se contente de saluer ses voisins, de grimper. Sa famille tente de le ramener à la raison, mais en vain. Il souhaite rester là : il ne sait pas pour quelles raisons, ni pour combien de temps. Il en ressent le besoin intrinsèque et c’est tout ce qui le motive. Ce n’est qu’après sa renaissance qu’il entreprend sa descente.

Tourné à plus de trois milles mètres d’altitude, le film a valu à l’équipe des conditions exceptionnelles. Thomas Salvador, passionné de montagne et d’alpinisme depuis l’adolescence, souhaitait que tous les personnages impliqués puissent vivre une aventure similaire à celle du héros. Louise Bourgoin explique ainsi qu’en altitude, la respiration est ralentie et par conséquent, le jeu physique et éprouvant. Au-delà d’induire des conditions de tournage particulières, le décor visuel de La Montagne est saisissant. Les paysages enneigés et immaculés viennent appuyer le calme d’une remise en question intérieure. Le blanc est pur, les silences perçants. Si l’on se contente de recevoir ce qui se passe à l’écran, on pourrait s’ennuyer tant les plans sont longs et les échanges stériles. Mais si le «rien » est mis en avant, on comprend vite que c’est pour laisser la liberté au spectateur de créer sa propre voie en utilisant celle de Pierre comme vecteur.


La finalité de l’ascension de Pierre est d’ailleurs sujette à de nombreuses interprétations. En quittant la salle de cinéma, on entend chacun murmurer sa conclusion personnelle sur un passage du film aux allures franchement fantastiques. Guidé par le désir d’explorer le vaste terrain du mont Blanc, Pierre s’expose à de plus en plus de dangers, d’autant plus qu’il découvre des lueurs étranges dans la roche. Une première hypothermie aura raison de sa curiosité. Puis, ignorant les mises en garde, Pierre remontera dans la montagne pour poursuivre ces lueurs et faire littéralement corps avec elle. Abandon à la folie, retour à l’état de nature ou suicide, cette longue fusion psychédélique entre Pierre et les lueurs nous laisse alors quelque peu perplexes. Pourtant, cette scène qui se clôt sur une renaissance nous invite à comprendre l’ampleur du changement qui s’est opéré chez Pierre. Il n’en sortira d’ailleurs pas indemne. Tout comme nous.

La Montagne est un film à la fois simple et compliqué. Simple, parce que tous les éléments nous sont offerts dès le départ : Pierre souhaite se défaire de son quotidien et entreprend de s’émanciper par la montagne. Compliqué, parce que les silences et l’absence de péripéties grandioses impliquent la nécessité d’une réflexion plus profonde autour du chemin spirituel du personnage principal.

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La Montagne

Réalisé par Thomas Salvador

Avec Thomas Salvador et Louise Bourgoin

France, 2023

112 minutes

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