critique &
création culturelle
Respiro
Un vent de liberté venu tout droit de la mer

Si l'été s'annonce caniculaire et pesant, il le sera peut-être à l'image de ce film italien. Respiro (2002) d'Emanuele Crialese raconte l'histoire d'une femme qui tente de briser les carcans sur l'île de Lampedusa. Au-delà du charme qu'inspirent le ciel et la mer bleue, c'est la sensation d'étouffement qui prédomine durant tout le film.

Quelques années avant le début de la vague migratoire, il semblait faire bon vivre sur l'Île sicilienne de Lampedusa, avec ses plages turquoises, l'envie de farniente , l'insouciance heureuse des jeunes sur leur Vespa, les jeux de drague entre adolescents et la douceur des nuits d'été. Mais derrière cette vision idyllique se cache un drame familial qui révèle les comportements archaïques de ce monde à des centaines de kilomètre de la « civilisation ».

Si Grazia, l'héroïne du film, désire se baigner dans la mer seins nus, ce n'est pas par pure provocation mais pour être au plus proche de la nature. Sous le poids des traditions, elle cherche à retirer de sa peau toute chose qui pourrait encore plus accentuer la pesanteur de sa condition de femme. Créant un scandale par sa naïve sensualité, Grazia se fera sermonner par son mari Pietro pour s’être donnée en spectacle devant ses amis pêcheurs. Ce n'est pas la goutte qui fera déborder le vase, mais le début d’une folie qui va finir par s'aggraver.

Figure mythique et philosophique

Si Grazia était née durant l'Antiquité, elle aurait pu être l'un de ces personnages de la mythologie grecque, qui comme Hélène cherche à quitter son mari. Si ce n’est pas par amour pour quelqu’un d’autre, elle s’enfuit de Lampedusa pour s’échapper de sa condition de femme intègre face à son mari et à la communauté. Incarnant l’antithèse de tout un monde archaïque, Grazia sera à la recherche d’une liberté.

Outre le personnage mythique, on peut également voir en Grazia une figure de poétesse et de philosophe qui, comme Diogène de Sinope, n'hésite pas à provoquer l'agacement de ses proches. Elle erre comme le sage avec ses chiens sur l'île de Lampedusa. Si Grazia n'a pas dit exactement comme Diogène à Alexandre le Grand : « Ôte-toi de mon soleil », elle cherche néanmoins à tout pris la clarté. Elle ne veut pas rester dans l'ombre comme ces femmes le sont derrière leur mari.

Mais Grazia est un être qui dérange. Ce monde isolé de tout n'est pas encore prêt à vivre le désir d'épanouissement de Grazia. Comme dans les mythes, l’être étrange se fait écarter par la société pour ne pas briser l'ordre établi. C'est à ce moment précis que la tragédie s'opère. Si l'héroïne du film est jugée folle, elle arrive tout de même à communiquer. Mais ce sont les autres qui ne l'entendent guère. L'incommunicabilité entraîne des réactions inhumaines vis-à-vis de l'autre. Si ce n'est pas la mort, c'est l'enfermement qui sera le triste destin de Grazia.

Bouc émissaire et symbolique de la nature

Lorsque le groupe décidera de l'éloigner, Grazia sera mise dans la position victimaire du bouc émissaire. Le bouc émissaire incarne un mécanisme communautaire désignant un coupable innocent du point de vue de la vérité. Un groupe (la famille et les habitants de l'île) va s'unir contre un supposé coupable afin de ramener une forme de paix au sein de la collectivité. Ce n'est pas étonnant si la fin du film – attention spoiler – nous dirige vers une expiation religieuse de la faute, en mélangeant rites chrétiens et païens. Au moment de la fête de San Bartolo, c'est toute la communauté qui se rassemble autour du feu, notamment les adolescents qui n'arrêtaient pas de se battre en clan durant tout le film. Le sacré resurgit peu à peu après la condamnation de Grazia. Pensant être coupable, Pietro ira même déposer une statue d'une Madone au fond de l'eau là où Grazia semblerait avoir disparu. C'est dans cette même eau que Grazia se sent libre, loin des autres, là où personne ne pourrait la juger. Dans la symbolique, la mer est un élément régénérateur qui vient juste après le feu allumé durant fête. Grazia est finalement retrouvée vivante dans la mer et c'est toute la communauté qui vient autour d'elle comme pour assister à un miracle ou à un retour des choses.

Nous ne pouvons pas clore ces paragraphes sans toucher un mot sur l’interprétation de l’actrice principale. Valeria Golina, seule professionnelle de ce casting, jouera magnifiquement le rôle de Grazia. Par sa sensualité et son talent, elle demeurera la figure féminine la plus marquante du film. Si le réalisateur a le mérite d’être récompensé, l’actrice a également son rôle dans l’obtention de plusieurs prix dont le prix du Public à Cannes.

Respiro peut être vu comme un film témoignant de la condition de la femme au sein d'une communauté patriarcale. Mais en regardant de plus près, son réalisateur donne aux spectateurs la possibilité d’y distinguer plusieurs grilles de lecture : anthropologique, religieuse, philosophique et poétique. C'est bien cette fusion d'interprétations qui donne une réelle profondeur au film. Toutefois, si nous ne devons retenir qu’un seule élément dans ce film, c'est le désir de liberté qui émane de Grazia.

Même rédacteur·ice :

Respiro

Réalisé par Emanuele Crialese
Avec Valeria Golino, Vincenzo Amato, Veronica D’Agostino
France, Italie, 2002
90 minutes