critique &
création culturelle
Phobos
Au-delà de la peur, la force du rêve

Oscar Wilde a un jour affirmé : « Visez la lune : en cas d’échec, vous atterrirez parmi les étoiles. » Dans Phobos de Victor Dixen, ils ont visé Mars. Les étoiles, les stars mondiales, ce sont eux. Quant à l’échec…

Phobos nous attire dès la couverture, nous happe dès les premières phrases. Rapidement, les pages filent, le mouvement de nos doigts s’accélère… Et c’est le décollage.

CHAMP

Plateforme d’embarquement, base de Cap Canaveral. D-20 minutes.

Ils sont jeunes. Ils sont beaux. Ils sont douze.

Ils ont signé pour un aller-simple sur la planète rouge et s’apprêtent à embarquer dans la fusée d’un instant à l’autre, sous les acclamations de la foule en délire et sous l’œil des caméras qui les suivra jusqu’à la fin de leurs vies.

CONTRECHAMP

Lui : « La candidate rousse, la française, elle semble avoir hésité. Vous êtes sûre que… Vous êtes certaine qu’ils ne se doutent de rien ? »

Elle (une lueur de folie dans son regard vert d’eau) : « Croyez-moi, Gordon, c’est bien mieux que cela. Ils ont une confiance aveugle en moi. »

L’auteur nous entraîne dans l’espace et dans son univers, où s’entremêlent dangereusement rêves idylliques et cauchemars glaçants. Ce voyage, nous le vivons aux côtés des douze prétendants du programme Genesis, nouvelle émission de télé-réalité au succès planétaire. Le principe est simple : une navette spatiale, six filles d’un côté, six garçons de l’autre, six minutes de speed-dating par semaine… Et six mariages à célébrer dès l’arrivée sur Mars six mois plus tard : six unions qui permettront la formation de la toute première colonie martienne de l’Histoire.

Tout au long du premier tome, on se retrouve plongés dans cette ambiance de séduction, de paillettes et d’intrigues de cœur. Bien que l’on soit conscients dès le départ de l’atroce vérité (à savoir, que la base martienne de New Eden censée accueillir les couples est défectueuse et que c’est la tombe qui attend les jeunes prétendants et non pas l’autel), on se retrouve bien vite pris au jeu. Incapables se détacher du roman, on ressent rapidement une fascination similaire à celle des milliards de téléspectateurs captivés par le programme Genesis. Il faut reconnaître que Victor Dixen a l’art et la manière de nous toucher, de nous faire vibrer. Ses emprunts formels aux mondes du théâtre et de l’audio-visuel lui permettent de dépeindre sa télé-réalité de manière très vivante. Sa plume, poétique et très colorée, rend chaque dialogue et chaque scène mémorable, émouvante… Spectaculaire.

Promesses de gloire, de célébrité – et d’amour – sur fond de science-fiction : tout contribue à nous envoûter. Et le cadre – l’immensité de l’espace – accentue ce côté grandiose.

Plus que tout, c’est l’authenticité et l’idéalisme des douze prétendants, ces héros de l’American Dream le plus délirant de l’Histoire de l’humanité, qui nous touchent. Pour eux, il n’y a pas de différence entre ce rêve éveillé et leur propre existence : ce voyage vers Mars est synonyme de libération de leurs lourds passés, d’opportunités d’enfin briller, de secondes chances ; ce speed-dating, de rencontre avec leur âme sœur. Ils ne veulent pas seulement y croire : ils y croient. Corps et âmes. Même Léonor, la protagoniste principale, la plus rationnelle et méfiante du lot, finit par se retrouver, malgré elle, au cœur d’un véritable triangle amoureux.

Ce qui ressemble à un rêve éveillé n’est cependant que la pointe étincelante de l’iceberg.

Lorsque, grâce à une preuve dénichée par Léonor, les douze jeunes découvrent la face cachée du programme Genesis et de sa productrice Serena McBee, le retour à la réalité – cauchemardesque – est brutal ; le retour sur terre, rude. Métaphoriquement parlant, cependant. Car au sens littéral, il semble désormais impossible.  Les douze jeunes sont bel et bien coincés sur Mars. Commence alors un terrible bras de fer entre la productrice et les pionniers : son aide contre leur silence. Sa survie contre la leur.

Mais pas seulement. Petit à petit, le véritable duel se déplace en chacun des candidats. Car, si en apparence, ils doivent prétendre le bonheur pour l’audience mondiale, feignant 24 heures sur 24 une existence merveilleuse, pleine d’excitation et d’insouciance, en réalité, leur (sur)vie ne tient qu’à un fil (ou plutôt, qu’au bon-vouloir d’une psychopathe qui pourrait les trahir et dépressuriser la base martienne à tout instant).

Ainsi, petit à petit, au fil des tomes, la série Phobos s’approfondit. Dans le deuxième tome, des questionnements existentiels et psychologiques sont abordés. Les douze pionniers de Mars, à peine sortis de l’inconscience quant à l’immense fossé qui sépare apparence, rêve et réalité, se voient contraints de tenter d’unifier à nouveau les trois. Et à force de simuler, n’y-a-t-il pas un risque de baisser la garde, de retomber dans la tentation du rêve ? Comment vivre une telle contradiction au quotidien ? L’inconscience n’est-elle finalement pas plus facile, plus rassurante ? Alors que la frontière entre le réel et le show devient de plus en plus floue sur Mars, la Terre, quant à elle, doit se préparer à une bataille d’une toute autre nature (bien que provoquée par le même mal). L’ombre de Serena McBee ne plane plus seulement sur la planète rouge mais menace désormais d’engloutir sa voisine bleue.

Le troisième tome de la série aborde ainsi des scènes plus politiques, dépeignant les manipulations qui s’érigent, toujours plus importantes et dramatiques, sur cette télé-réalité. L’installation progressive de la démagogie, le danger croissant d’une dictature monstrueuse… « Panem et circenses », en somme : Juvénal l’avait déjà bien compris.

Le dernier et quatrième tome, enfin, creuse davantage la réflexion sur l’importance grandissante (et souvent inquiétante) du rapport à l’image dans notre société actuelle, sur ses dangers comme sur son possible pouvoir d’influence et d’action bénéfiques. Il se penche également sur le mystérieux passé de notre héroïne, Léonor, et lève le voile sur bon nombre de questions laissées jusque-là en suspens.

La fin, quant à elle, bien que probablement un peu trop invraisemblable, a le mérite d’être surprenante. Elle délivre un message fort, juste et chargé d’espoir : le rêve aura quand même, toujours le dernier mot – et peut-être en est-il mieux ainsi.

Phobos , tout en nous invitant à des réflexions sur différents aspects de notre réalité, ne cesse d’ailleurs de nous faire rêver. On le parcourt comme Léonor, l’espace : le ventre noué, le cœur battant, le souffle court et, surtout, les yeux parsemés d’étoiles.

Même rédacteur·ice :

Phobos

Écrit par Victor Dixen

Robert Laffont, 2015 à 2017

4 tomes

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