critique &
création culturelle
Rien que le soleil , entre réalisme et fantastique
rencontre avec Lou Kanche

Interview entre rêveries, arts et rires, découvrons ce qui se passe dans la tête de Lou Kanche pour mieux comprendre les rouages de sa première œuvre. Une rencontre chaleureuse, culturelle et qui nous fait voyager dans nos bibliothèques.

Lou Kanche est une jeune écrivaine dont les voyages, la culture et la sensibilité ouvrent les portes du monde de l’écriture. J’ai la chance de pouvoir lever le rideau pour l’entrée en scène d’une nouvelle plume qui, à l’occasion de la publication de son tout premier roman Rien que le soleil , se dévoile elle et son héroïne.

Tout comme notre écrivaine, l’héroïne Norah Baume est une jeune professeure de français en banlieue parisienne. Bien au chaud dans sa vie rangée, elle se trouve face à des émotions, fantasmes et désirs insoupçonnés : elle tombe amoureuse de Sofiane, un de ses élèves. Une position à la fois plaisante et interdite qui nous montre les failles d’une jeune femme qui se cherche encore. Entre quête de soi et des autres, elle prend la fuite pour Marseille sans bagages et sans vraiment savoir pourquoi…

Commençons par une simple entrée en matière : pourquoi Rien que le soleil , un titre tiré du conte de la Barbe Bleue ?

C’est peut-être en lien avec tout le côté onirique et un peu chimérique de ce que l’héroïne fantasme. On a aussi dans le conte de la Barbe Bleue cet espoir à la fin qu’on retrouve aussi dans mon roman. Et puis c’est une formule qu’on connait et qu’en général on retient. Parfois on a le titre tout de suite et puis là ce n’était pas le cas, j’ai vraiment mis du temps. J’ai beaucoup plongé dans le texte pour essayer de voir ce qui pourrait condenser plusieurs éléments du récit. Ce titre fonctionnait bien avec toute la fin du livre qui se passe dans le Sud de la France, avec l’idée de désir, d’espoir et toute la dimension onirique. Au début, j’avais un titre pendant longtemps mais qui était long et un peu compliqué… C’était « Qu’aucun espace ne soit dédié ». On avait publié le début du roman sous ce titre mais il était un peu trop conceptuel et complexe.

Je t’avoue avoir souligné et entouré des dizaines de formules en rapport avec le soleil et la chaleur dans ton roman : on en retrouve beaucoup dans la partie à Marseille mais aussi dans l’expression des sentiments, dans « la Clio qui chauffe au soleil » de Freddy etc. Du coup j’étais persuadée que tu avais trouvé ton titre et basé ton roman sur celui-ci, par des clins d’œil à la chaleur.

En fait ce livre est parti de l’idée des différents territoires, des différents milieux et de comment le désir nous faisait entrer dans des territoires différents. Après, il y avait en effet cette thématique de la chaleur qu’il faut mettre du coup en lien avec le désir.

Norah, l’héroïne du récit et professeure de français, fait jouer à ses élèves une scène de Phèdre . Le lendemain je me précipitais sur mon Racine pour me familiariser avec sa pièce parce qu’il m’était devenu évident que les destins des deux héroïnes pouvaient être rapprochés (passion, amour interdit etc.). Était-ce ce que tu avais en tête ?

Oui ! Phèdre est une référence qui m’a beaucoup accompagnée et que j’adore. Je pense que si Norah est comme elle est, qu’elle se laisse autant aller à ce désir pour un élève c’est qu’elle a aussi lu Phèdre et qu’elle a imprégné de partout des récits et légendes sur l’amour, le désir, la passion...

As-tu d’autres références que tu voudrais souligner en plus de la Barbe Bleue ou de Phèdre ?

En référence cinématographique, j’ai beaucoup pensé à la Balade sauvage de Terrence Malick. C’est une très belle histoire d’amour dans laquelle deux jeunes sont en cavale parce que le garçon tue par amour. En littérature on retrouve aussi beaucoup de Jean Genet !

Même si beaucoup de choses nous différencient, j’avoue m’être énormément reconnue dans le personnage de Norah Baume, de par sa personnalité, ses actes ou ses choix par exemple. Est-ce que toi, Lou Kanche, tu ressens une quelconque similarité entre Norah et toi ?

Oui, je pense que j’ai beaucoup éprouvé certaines des choses que Norah éprouve. C’est notamment un personnage mélancolique, qui ne sait pas trop quelle est sa place, qui se cherche… On a aussi des parcours, études et manières de voir le monde finalement assez similaires. Après, c’est tout l’angle du personnage qui est nous et qui n’est pas nous tout à la fois : parfois je me demandais « mais qu’est-ce qu’elle ferait, qu’est-ce qu’elle penserait à ce moment-là ? ». Je pense aussi qu’avec un premier roman, il y a toujours un attachement fort au personnage ! En plus c’est une narratrice femme et j’avais envie ici d’être dans la tête d’une femme qui découvre le désir. C’est aussi un roman sur les désirs d’une femme.

En parlant de femme et de désir, j’ai vraiment aimé le passage où Norah rencontre la jeune étudiante Léna à Marseille : l’attirance de Norah pour les femmes, (que je n’avais pas soupçonnéenous prouve encore que c’est une femme pleine de ressources qui se cherche et se découvre...

En fait, en larguant les amarres, elle s’en remet au destin, aux rencontres, aux lieux… Et on retrouve un peu de ça dans sa brève relation avec Léna.

Ton roman est animé de belles références à l’Antiquité, à l’art et à l’histoire plus généralement. Je suis étudiante en histoire de l’art et archéologie à la Sorbonne et j’avoue avoir trouvé certaines de tes références très pointues dans ce domaine, comme Aby Warburg ou Daniel Arasse. Pourrais-tu m’éclaircir sur ton rapport à l’art et celui de Norah ?

Je suis comme toi passée par un parcours d’histoire de l’art à la Sorbonne. Pour Norah, j’avais vraiment envie que ça soit une femme qui ait des références, un rapport très esthétique au monde, pour qu’on soit dans une quête constante de la beauté. J’avais envie d’utiliser Warburg comme référence de par la question de la survivance, du motif. C’était aussi à mettre en lien avec cette « figure » ‒ c’est horrible de dire ça ‒  de jeunes de banlieue qui est une figure qui cristallise les tensions ‒ on espère de moins en moins. Je voulais réutiliser cette figure pour mettre en avant ses enjeux esthétiques. Je voulais qu’on se sente dans la tête d’une femme qui voit le monde à travers ses références et qui est à un moment donné empêchée, même bloquée, de vivre aussi par ses références. On a ici un rapport au réel qui est n’est pas direct et pas franc, parce que ça passe par plein de références artistiques, littéraires ou historiques. Je voulais montrer la différence, de par les références, d’appréhensions du réel : elle appréhende le monde d’une certaine manière l’empêchant ainsi de l’appréhender sous ses autres facettes, justement parce qu’elle est enfermée dans ses nombreuses références. Ça nourrit le fantasme et l’imaginaire, mais vivre sans ces références peut parfois faciliter les relations avec d’autres. C’était un peu ça l’idée que je voulais développer.

Pour rester dans l’univers des arts : pourrais-tu me parler de ton œuvre picturale phare, un tableau que tu aimes et que tu voudrais partager avec nous ?

Là, tout de suite, je pense au peintre Balthus en lien avec la mélancolie et le thème du conte. Il y a un tableau qui s’appelle la Montagne : ça représente un paysage de montagne avec trois personnages dont une femme allongée qui pourrait être du coup Norah Baume en train de rêver !

Balthus | La Montagne, 1937. Huile sur toile, 248 x 365 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

Balthus dépeint l’enfance et l’adolescence de manière un peu sombre et cruelle. Surtout en ce moment, je ne sais pas si c’est O.K., toutes ces jeunes femmes qu’il peint dans ses œuvres, mais ça reste un peintre que j’aime beaucoup de par l’atmosphère de ses œuvres, par exemple. Et La Montagne propose une scène quotidienne mais assez étrange, onirique…

Oui et du coup ça rejoint l’onirisme et le surréalisme de certains passages de ton roman !

Exactement !

On arrive à la dernière question qui, comme les autres, baigne dans la culture : si tu devais nous conseiller une œuvre ou un auteur belge à lire (dans le la cadre de la campagne Lisez-vous le belge ? ), ça serait quoi ?

Les œuvres de Nathalie Skowronek qui était mon enseignante à la Cambre (l’Atelier des écritures contemporaines) ! Sa plume est très sensible et intelligente. Elle a toujours eu un très beau regard sur nos textes et elle y enseigne toujours d’ailleurs !

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