critique &
création culturelle
Temps calme, pleine tempête de Julien Decoin
Un huis clos familial

Quelle meilleure occasion pour se rapprocher de sa fille de cinq ans que d’être confiné ensemble dans une chambre d’hôtel ? C’est ce qu’a imaginé Julien Decoin dans son nouveau roman Temps Calme, pleine tempête , sorti le 6 janvier 2023 aux éditions Seuil.

Qui a déjà lu des romans de Julien Decoin sait que l’auteur français aime insérer des éléments de sa vie dans ses livres . Sa passion pour la mer dans Soudain le large , un héros écrivain dans Platines … Il ne déroge pas à la règle avec son nouveau roman, Temps calme, pleine tempête. On y retrouve un protagoniste de 35 ans qui travaille dans le milieu du cinéma, tout comme lui, et qui cherche à rejoindre un port pour embarquer dans un ferry avec sa fille.

Pour ce faire, ils passent de nombreuses heures sur la route, coincés au milieu des embouteillages. Le père tente tant bien que mal de divertir la fillette. Le voyage est long et ennuyeux, certes, mais elle retrouvera dès ce soir sa mère. Ça, il le lui promet. Il leur suffit d’atteindre le port. Pas de chance, les bouchons les mettent en retard : trop de monde cherche à fuir les villes. S’ils ne se dépêchent pas, ils risquent de rater leur bateau. Le père gare sa voiture dans le parking, attrape sa fille et pousse les autres passagers. Mais pas même leur carte d’embarquement ne pourra les aider à monter à bord. À cause d’une tempête, le ferry ne quittera pas le port ce soir. Ils se réfugient alors in extremis dans un hôtel pour y passer la nuit.

Le lendemain, lorsqu’ils se réveillent et sortent, il n’y a plus aucune trace du bateau. Celui-ci semble être parti sans prendre aucun passager. Sur le site internet, il est même écrit « annulé ». Les protagonistes se dépêchent de retourner à l’hôtel, avec interdiction de sortir pendant quinze jours au moins. Comment ce père d’ordinaire absent va-t-il réussir à occuper sa fille de cinq ans durant autant de temps ?

Un jour, j’arrêterai de partir et je resterai à tes côtés. Alors je comprendrai pourquoi tu hurles, pourquoi tu pleures, pourquoi tu ris. C’est promis.

La petite ne sait pas ce qu’il se passe. Elle se croit en vacances et ne comprend pas pourquoi ils ne peuvent pas sortir de l’hôtel. Les lecteurs non plus n’en savent pas plus sur la situation. À aucun moment dans le livre nous ne sortons de la tête du père, le narrateur. Nous visualisons les faits et gestes des personnages et la vie extérieure par le biais de ses réflexions. Si l’écriture est par moment un peu bordélique vu qu’il s’agit d’un flux de pensées que l’on suit en continu, elle reste compréhensible et agréable à lire.

Lorsqu’il pense à sa fille, il utilise la deuxième personne du singulier, ce qui donne l’impression qu’il s’adresse tant à elle qu’à nous, les lecteurs. Ce mécanisme est plutôt peu commun dans les romans, mais réussit à retenir notre attention. Ainsi, vu qu’il omet de confier à sa fille des éléments importants sur la situation, afin d’éviter de l’inquiéter, nous restons constamment dans le mystère. Lors d’une conversation avec la gérante de l’hôtel, Paméla, nous apprenons qu’ils se protègent d’un virus. Mais quel est-il ? Est-ce le Covid, que nous connaissons bien ? Nous ne le saurons jamais avec certitude.

Je cours, je m’affole, je m’épuise, je prends les petites rues, je longe la plage, je regarde sous les voitures, sur les paliers, dans les abribus. Je suis sur le quai vide de la gare maritime. Est-ce que tu essaies de prendre un bateau ? Ce serait bien ton genre, de vouloir retrouver ta mère par tes propres moyens, comme si je n’en étais pas capable. Je t’entends dire que je suis nul. J’espère que tu le dis, parce que je le mérite.

Temps calme, pleine tempête n’est pas un roman avec énormément d’action. Pour le dire platement, il ne s’y passe pas grand-chose. Juste un père et sa fille qui cherchent à faire passer le temps dans une petite chambre d’hôtel. Ce manque d’action n’est pas pour autant dérangeant. Être dans les pensées du père permet de mieux cerner les personnages et d’en apprendre plus sur eux. Ce dernier réfléchit beaucoup, il est exténué. Il rêve de passer ses journées à dormir afin de faire passer le temps. Mais il ne peut pas, car il est en compagnie de sa fille, qui a besoin d’être divertie. Il s’énerve assez vite lorsqu’elle ne l’écoute pas, lorsqu’elle lui demande de lui raconter une histoire, bref, lorsqu’elle réclame de l’attention. Il n’est pas habitué à devoir s’occuper d’elle en étant seul. D’ordinaire, c’est son épouse qui gère tout. Passionné par son travail, il s’absente régulièrement pour voyager. Ainsi, en plus de trouver comment s’occuper lui-même, il doit se montrer présent pour sa fille, ce qui rend ce confinement d’autant plus compliqué pour lui.

Il y a trois regards dont je me souviendrai. Celui du loup, fin et méfiant, qui m’a regardé comme un égal ; celui du lion, bête et confiant, qui m’a regardé comme un moins que rien ; et le tien, simple et aimant, qui m’a regardé comme un tout, comme si j’étais une merveille, un miracle, ou même un dieu.

C’est extrêmement intimidant, cette responsabilité que tu me mets sur les épaules, ma petite fille. Quand tu me regardes, je ne peux pas être à cette hauteur. Je tremble. C’est toi mon plus grand prédateur.

Le personnage du père est loin d’être héroïque : il n’est pas montré comme un modèle, et c’est normal, vu qu’on vit leur aventure à travers ses pensées. Conscient de ses défauts et ne prétendant pas être parfait, au contraire, il évoque à de nombreuses reprises la pression qu’il ressent de ne pas être à la hauteur. Cette sensation, aussi, d’être idéalisé par sa fille, ce qui est bien normal, vu son bas âge. Mais s’il est son héros, elle est son héroïne. C’est d’ailleurs grâce à son amour pour sa fille qu’il apparaît sous une lumière sympathique auprès des lecteurs. De prime abord, il peut être difficile de s’attacher à ce personnage pétri d’imperfections bien humaines. Sa manière de s’exprimer est parfois maladroite et représente bien l’étendue de son conflit interne. Le narrateur est un père qui veut rendre sa fille heureuse, même si tout ce qu’elle souhaite, c’est de retrouver sa mère. Peinant à être à la hauteur de ses attentes, mais cherchant à s’améliorer, à la faire sourire.

Tu es la seule personne que je ne peux pas tromper, même tenté par d’autres lèvres, d’autres seins, d’autres fesses ou d’autres courbures d’esprit, séduit par un corps ou les mots d’une autre, dans un lit et des bras, ce n’est jamais toi qui seras remplacée, délaissée, oubliée. On ne peut pas se quitter. Je ne peux pas moins t’aimer. Je ne peux pas ne plus t’aimer. C’est la seule chose dont je suis sûr, avec la mort qui m’attend. Tu es ma fille.

Au-delà des sentiments du père, c’est leur parcours qui intrigue et pousse le lecteur à connaître le dénouement de leur aventure. La fin du livre fournit des réponses, mais laisse trop de mystère et de zones creuses. Nous ne connaissons ni les noms des personnages ni le nom de la ville où ils sont coincés en attendant un bateau. Pareil pour l’île. Le narrateur explique qu’ils ont quitté Paris et qu’ils ont fait un long trajet pour rejoindre un port, mais ce sont les seules informations qui nous sont transmises quant à leur position. Peut-être que Julien Decoin a voulu décrire une relation père-fille plus universelle en mettant en avant leurs doutes et leurs écueils plutôt que leurs coordonnées. S’il n’existe pas de normes précises en littérature, cette universalité n’a pas fonctionné pour moi.

Temps calme, pleine tempête est un livre assez court. Ses 192 pages, divisées en trois grandes parties, sont bien rythmées. Même si j’ai été intriguée par le parcours et la dynamique des personnages, l’absence de repères, pourtant nécessaires pour ancrer une histoire – fictionnelle ou non – m’a frustré. J’aurais préféré qu’on y ajoute quelques pages pour obtenir des détails plutôt que de ressortir de ma lecture avec cette sensation de trop peu.

Même rédacteur·ice :

Temps calme, pleine tempête

Julien Decoin

Éditions Seuil, 2023

192 pages