Dans ce court roman enflammé qui tiendrait presque du manifeste, Lisette Lombé aborde le corps de la femme sous toutes ses coutures. Ses réflexions éclatantes de justesse sont servies par une langue déliée extraordinairement jouissive, où la poésie contamine jusqu’aux aspects les plus triviaux des comportements humains.
Venus poetica est un roman, le premier, de Lisette Lombé. Publié cette année aux éditions l’Arbre à paroles, c’est un récit, oui, mais forcément poétique – et forcément politique. L’ouvrage trouve sa place dans la collection « If », dirigée par Antoine Wauters , composée de textes « à la croisée des genres, de textes transfrontaliers ». Il s’agit bien ici de dépasser les frontières, d’outrepasser les limites : celles du carcan social et celles de sa propre peau – en l’occurrence, une peau métissée, une peau de femme, de mère, d’enseignante, d’amante et de créatrice plurifacette. De la même manière, Lisette Lombé se définit comme une artiste « passe-frontières », ses pratiques sont multiples et protéiformes, ses mots aussi enveloppants qu’incisifs.
Venus Poetica est le récit d’une sexualité qui se construit, d’un corps qui se (re)trouve. De l’exploration des premiers troubles jusqu’aux angoisses face à l’image du corps, de la puberté à la maturité, de la curiosité à l’euphorie face au désir indéfectible, on retrouve un corps à soi en déconstruisant les clichés, les impératifs, les jugements hâtifs portés par les vents mêlés de la culture, de l’éducation et de la société. Car la question du corps nous hante dès l’enfance : le plus souvent, on ne se regarde pas en face mais dans les yeux des autres.
C’est la vie entière que l’on traverse au fil des étapes de transformation du corps de la narratrice. Au commencement se trouve le corps enfant, celui qui ignore les mots mais connaît les sensations, les explore en parallèle des interdits et des tabous qui les enrobent. S’en vient ensuite le corps adolescent confus et embarrassant, qu’il faut apprivoiser et apprendre à maîtriser ; plus tard voilà le corps de maman, épuisé et épuisant, et, continuellement, le corps changeant, trop ou pas assez, qui se tend et qui se détend, le corps contraint et puis, enfin, l’épanouissement. Cette traversée repose sur un florilège de moments et de pensées, de situations cocasses, tristes, exaltantes ou désarmantes. Le récit se clôture sur une note euphorique qui prend la forme d’un clitoris : cet organe si longtemps oublié, figure métonymique par excellence de la sexualité féminine méprisée, niée ou encore diabolisée. Pied de nez rieur à toutes les inhibitions forcées.
Slameuse et poétesse : le rythme est inévitablement dans la langue de Lisette Lombé, ses phrases sont des salves charriant des mots-projectiles qui se ficheront comme des flèches au plus profond de la chair. Précis, efficaces, évidents. Lu à voix haute ce texte s’enflamme, s’envole, c’est un texte-manifeste, un texte qui se déclame, le fruit d’une saine colère qui se partage pour s’affranchir de ses causes. Le récit s’écrit à la deuxième personne du singulier. Adresse directe, absence d’intermédiaire : toi et ton corps, toi et ta sexualité, toi et ta colère comme un souffle qui fait vibrer les côtes depuis l’intérieur de ta cage thoracique. Les phrases comme la gorge se resserrent avec les virgules qui augmentent, corsètent le flux de parole ; les phrases ont le souffle court lorsque l’extase se rapproche. C’est le cri d’une femme qui refuse, désormais, les miettes d’amour et les bribes de respect. Une Vénus érotica 1 progressivement dépouillée des clichés dont la société habille les femmes noires, dont elle habille aussi toutes les autres et toute sexualité un peu trop perceptible, tout désir féminin qui ne soit pas caché, masqué, déguisé en empruntant les frusques d’un fantasme masculin. La femme est ici effeuillée par les phrases qu’elle profère, ne reste d’elle que son corps : odeurs, sécrétions, pulsions. Venus poetica : Vénus ne naît pas portée par les eaux mais par les mots.
Ce texte puissant se lit et se vit comme une expérience de requalification , une grande respiration dont la délivrance est contagieuse. Briser le vernis social à coups de reins. Oser s’affranchir du discours majoritaire. Franchise, clarté, simplicité. Prendre la liberté de dire. Consigner la transgression et, ce faisant, réviser les normes. Accepter, revendiquer, requalifier. Et, surtout, ne pas capituler.