critique &
création culturelle
10 mois, 10 pays, 10 chansons
Entretien avec R.O x Konoba

Le duo formé par R.O (Olivier Rugi) et Konoba (Raphaël Esterhazy) s’apprête à présenter et à défendre dans quelques jours le résultat de leur projet 10 : un premier album commun qui contient 10 morceaux réalisés sur 10 mois dans 10 pays (Pologne, Japon, Colombie, Italie, Allemagne…). Sortie de l’album le 3 mai et release party le 5 aux Nuits du Botanique.

Ce projet s’assimile à une conquête, mais double : le duo part à la conquête musicale des pays et des cultures où il compte le plus de fans. Mais les deux artistes se laissent aussi conquérir par ce qu’ils conquièrent : les lieux visités, les personnes rencontrées, les images vues, les sons entendus, les émotions éprouvées, tout sera source d’inspiration. Chaque morceau peut être perçu comme la saisie de quelque chose et comme sa restitution, sa traduction sous une autre forme, universelle et musicale. Rencontre avec un groupe qui concilie avec brio technologie et humain, électro et mélodie vocale, ombre et lumière, tristesse et joie.

Quel pays ou quelle culture ressemblait le plus à l’esprit et à l’univers de votre musique, marquée par le contraste entre mélancolie/nostalgie et élan vital ?

Olivier Rugi : Il y en avait deux/trois je dirais. En sachant que, au sein-même de chaque pays, on retrouvait plusieurs atmosphères différentes, en fonction de la météo, des paysages, des lieux (passage du chaos de la ville au désert de la campagne), des événements organisés, etc.

Raphaël Esterhazy : On a eu cette balance entre les deux, tantôt une atmosphère mélancolique, tantôt une ambiance pleine de vie et de lumière, comme en Italie et en France. On retrouve ces deux dimensions aussi en Pologne et en Géorgie.

Pourquoi l’ordre des morceaux de l’album ne reflète-t-il pas l’ordre chronologique des destinations ?

O : On a effectivement abordé ce sujet à un moment donné. Le choix n’a pas été facile, deux points de vue s’opposaient : le parti pris du storytelling du voyage, destiné à montrer au public notre évolution artistique tout au long du projet ; et l’envie de proposer un ordre cohérent interne à l’album lui-même, plus logique que l’ordre chronologique accidentel et imposé .

Le but principal d’un album est de donner un plaisir d’écoute. L’organisation des morceaux pose aussi question dans d’autres contextes, comme les live . Un coach nous a déjà conseillé d’ordonner les morceaux différemment pour créer un effet de roller-coaster et accentuer l’ordre logique de la musique.

R : Deux possibilités s’offraient à nous. Mettre en avant le concept du voyage, et donc imposer un ordre chronologique aux morceaux. Ou mettre en avant les chansons et la musique en tant qu’album, indépendamment du concept. On a fini par opter pour cette solution. On a d’ailleurs fait imprimer un carnet où le texte d’intro explique notre décision.

L’album montre les morceaux visibles et achevés, mais y a-t-il eu des morceaux invisibles , inachevés et abandonnés en cours de route ?

R : Absolument. Je songe à deux morceaux. L’un, entamé au tout début de notre voyage en Italie, un soir dans les Dolomites, exprimait une dimension très atmosphérique et posée. Mais, après plusieurs semaines et un road trip ensoleillé au sud du pays, notre état d’esprit avait complètement changé. Il nous fallait quelque chose de plus rythmé et exaltant. Autre exemple ? Le morceau de la Géorgie a été bouclé une fois au Japon, après avoir lâché un morceau qui n’était plus en adéquation avec notre vécu et notre ressenti. On a donc renoncé deux fois à un morceau après l’avoir quasiment terminé ou largement entamé.

O : Au-delà du projet de réaliser un album de dix chansons en dix mois dans dix pays, chaque composition devait être la plus représentative possible de notre expérience globale sur place, sans se limiter à la restitution d’un seul moment. L’exemple de l’Italie incarne parfaitement cette volonté : on est passé d’un morceau dark à un morceau lumineux.

À quel point le changement de vos conditions habituelles de travail a-t-il modifié votre manière de travailler ?

R : On a beaucoup travaillé dans l’urgence, logé dans des lieux peu favorables à la création, travaillé avec un minimum de matériel technique et collaboré avec des artistes étrangers rencontrés là-bas. Ce sentiment d’urgence pouvait être libérateur, il nous dispensait de trop cogiter. Cependant, on se retranchait souvent en fin de mois dans un lieu paisible, isolé et intime pendant trois jours pour composer le morceau.

O : Cette urgence nous a permis de créer des morceaux plus représentatifs de notre vécu réel. Le recul et la réflexion sont un luxe mais parfois un danger : on s’éloigne de l’élan qui conduit à la création et donc du vécu lui-même.

R : Les conditions de travail étaient parfois ardues à cause du manque de lieux adéquats pour créer, et de l’accumulation de la fatigue. Au bout de 8 à 9 mois de voyage intensif, on est au bout du rouleau. Pour compenser la contrainte financière du coût de la vie dans certains pays (Japon et Australie surtout), on passait la nuit dans des petits logements de fortune ou des auberges de jeunesse. Résultat, très peu d’intimité, d’espace et de matériel pour composer.

O : Le manque d’intimité limitait surtout le travail vocal de Raph. Impossible pour un chanteur de chanter n’importe où. Le pire, c’est quand les conditions de travail sont telles qu’on perd carrément l’envie-même de créer. Paradoxalement, les contraintes techniques liées au processus créatif ont donné des résultats artistiques plutôt aboutis et très réussis (comme le morceau du Japon).

Qu’est ce qui vous a le plus inspiré d’un point de vue artistique au cours de votre projet, en général (culture, pays) et de manière spécifique (images, sons, lieux) ?

O : Ma plus grande source d’inspiration a été le Japon. Pour deux raisons. D’un point de vue culturel, ce pays se distingue énormément de ce qu’on connaît. D’un point de vue personnel, je me suis retrouvé dans des tableaux qui avaient toujours peuplé mon imaginaire, conditionné dès le plus jeune âge par la lecture des mangas. C’était comme si la fiction devenait réalité. Hyper stimulant !

R : Pour moi, c’est un tout, aucun élément spécifique ne ressort. Si on prend le morceau de la Roumanie, il découle en partie de notre participations de quatre jours à un festival où les artistes proposaient une musique très puissante et capable de créer des mouvements de foule. En sortant d’un tel événement, on ne voulait pas seulement faire quelque chose de musical mais aussi de dansant, d’où le morceau Roll The Dice . Notre inspiration s’est nourrie autant de moments forts précis que de l’ensemble de notre expérience.

Enfin, une question sur l’impact de votre musique sur le public. L’écrivain et dramaturge français Jean Genet a dit un jour : « Une représentation qui n’agirait pas sur mon âme est vaine ». Ce critère s’applique-t-il à vos intentions artistiques ? Vous semble-t-il important de  toucher l’âme du public ?

R : Oui, c’est l’une des composantes principales de notre travail. Pour ma part, je choisis de chanter pour mettre les paroles et la voix au service de l’émotion, et donner une dimension profondément humaine. Le but de notre musique est de faire quelque chose de sincère et d’authentique au niveau de l’émotion. Néanmoins, il arrive que nos morceaux préférés ne soient pas ceux que le public préfère. Si on en adore certains pour leur côté puissant, bien produit, radiophonique et entraînant, le public, lui, s’identifiera davantage à un morceau comme On Our Knees , plus émouvant et humain .

O : C’est aussi un critère dans la musique que j’écoute. J’aime les morceaux qui me touchent plus loin que les oreilles, qui m’accompagnent après l’écoute, m’imprègnent, m’évoquent des éléments de ma propre histoire, me bouleversent au-delà du carcan classique de la rengaine « la musique est belle, bla bla bla ». La beauté ne suffit pas en musique, il faut aller plus loin. C’est ce que je déplore chez certains artistes actuels, qui livrent une musique sans prise de risque artistique, sans second degré, trop politisée , sans autre niveau de lecture que ce qui est donné à voir ou à entendre directement. Il y a un manque de profondeur et de dépassement.

R : On cherche à faire une musique accessible à un maximum de monde mais en y ajoutant une dimension supplémentaire. On n’a cependant pas besoin d’insérer artificiellement et volontairement la dimension d’âme car elle se retrouve naturellement dans notre musique.

Même rédacteur·ice :

R.O. x Konoba

10
3 mai 2019

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