critique &
création culturelle
Roméo et Juliette au Théâtre Royal du Parc
Shakespeare n’a pas fini de nous faire rêver

Dans le cadre somptueux du Théâtre Royal du Parc à Bruxelles , Thierry Debroux et ses seize comédiens et comédiennes s’emparent de l’une des tragédies les plus connues de tous les temps : Roméo et Juliette de William Shakespeare.

Nous connaissons toutes et tous, de près ou de loin, la célèbre histoire d’amour de Roméo Montaigu et Juliette Capulet, héritier et héritière de deux familles qui se vouent une haine viscérale depuis des siècles. Alors que la jeune Juliette est promise au Comte Pâris, les deux amoureux, que tout sépare, décident de se marier dans le plus grand secret, aidés par le frère Laurent. Mais Roméo commet l’irréparable : gagné par un esprit de vengeance, il tue Tybalt, cousin de Juliette, après que ce dernier ait assassiné Mercutio, un ami intime de la famille Montaigu. La sentence est prononcée : Roméo est condamné à l’exil et donc à ne plus jamais revoir son amoureuse. Juliette refuse un tel destin et décide de se faire passer pour morte, en ingurgitant une potion qui la fera s’endormir pendant 42 heures. Pendant ce temps, le frère Laurent envoie un messager avertir Roméo du stratagème afin que les amants se retrouvent, mais Roméo ne reçoit pas le message et vient se donner la mort auprès de sa bien aimée qu’il croit morte. Quelques minutes plus tard, Juliette se réveille et, ne supportant pas de vivre sans son amant, se donne la mort à son tour.

Roméo et Juliette sont en effet un couple mythique connu dans le monde entier, mais ce ne sont pas des amoureux « niais » , « sensibles » et « fleurs bleues » comme on a tendance à le penser. Leur amour est intense, puissant et même violent. Baptiste Blampain, qui incarne Roméo et Mathilde Daffe, interprète de Juliette, sont parvenus à représenter les amoureux aux sentiments exacerbés et excessifs avec brio. Pour reprendre les mots de Thierry Debroux : « C’est comme s’ils savaient au fond d’eux qu’ils ne vivront pas longtemps et que chaque seconde passée loin de l’autre ne se rattrapera jamais .1 » Ainsi, pour représenter ces jeunes amoureux torturés, le metteur en scène a choisi de placer l’intrigue au XIXe siècle et non à l’époque de la Renaissance. Thierry Debroux justifie son choix par l’adéquation de l’histoire avec l’état d’esprit du siècle romantique qui « balaie les vieilles conventions .2 »

Bien que l’histoire soit plongée dans un siècle plus récent que celui du texte de Shakespeare, le spectacle reste fidèle à la pièce originale. Les spectateurs et spectatrices assistent à des combats d’épées, de la danse et même de la chanson, rythmés par des musiques pop-rock contemporaines (Rihanna, Lady Gaga, Nina Simone, etc). De plus, la langue de Shakespeare du XVIIe siècle , traduite par François-Victor Hugo est respectée.

La mise en scène est grandiose. Elle semble chorégraphiée et calculée à la seconde et au mouvement près, sans pour autant perdre en spontanéité et en fraîcheur. Pleine d’actions, elle permet alors de soutenir le texte et le jeu des acteurs et actrices.

Le décor est bien travaillé : sur la scène s’imposent des échafaudages, faisant ainsi un clin d’oeil à West Side Story , et qui permettent l’utilisation de l’espace par les comédiens et comédiennes de manière très dynamique : on saute, on escalade, on dévale les escaliers, etc.

J’aimerais particulièrement souligner la magnifique scène dans laquelle les amoureux se retrouvent afin de vivre leur ultime nuit ensemble. Thierry Debroux a judicieusement choisi de représenter la scène non pas sous l’impulsion du texte, mais par la danse, rendant ainsi le spectacle fluide et permettant d’éviter les tirades dans la langue d’époque qui peuvent s’avérer lourdes pour un public contemporain. Une chose est sûre, le spectateur ou la spectatrice ne s'ennuie pas devant une telle adaptation.

Le jeu des acteurs et actrices est riche et diversifié. Nous assistons au comique de situation et de caractère avec les personnages tels que Benvolio et Mercutio, amis fidèles de Roméo, interprétés par Julien Besure et Denis Carpentier, ainsi que la nourrice de Juliette, incarnée par Cathy Grosjean, dont la gestuelle, les mimiques et les paroles sont exagérées mais toujours très justes. Baptiste Blampain et Mathilde Daffe incarnent les amoureux torturés de manière très convaincante. Avec le défi de garder un texte en langue d’époque, ils parviennent néanmoins tous les deux à rendre crédibles et naturels leurs sentiments extrêmes et à s’approprier le texte de Shakespeare, ce qui ne se montre pas toujours évident, surtout lorsqu’on s’attaque à un monument du théâtre occidental. Enfin, un personnage se démarque dans le spectacle : le frère Laurent, interprété par Michel Poncelet. Le protagoniste ajoute une touche d’humour à la pièce en se positionnant comme une sorte de commentateur contemporain de la trame. Il relève et souligne de manière ironique les agissements excessifs de Roméo et Juliette. Il apparaît comme un témoin lucide de la trame, ne comprenant pas pourquoi les querelles passées entre les deux familles persistent et poussent les deux amoureux vers la mort.

Histoire d’un couple mythique, d’un amour impossible, le texte de Shakespeare n’a de cesse d’inspirer des adaptations au cinéma ou au théâtre. Mais alors, qu’a donc une pièce aussi célèbre, dont tout le monde connaît la fin tragique, à nous apprendre aujourd’hui en 2022 ? Thierry Debroux s’exprime à ce sujet : « Les chefs-d'œuvre nous révèlent quelque chose de neuf à chaque fois qu’on les représente sur scène. Nous entrons ici dans l’histoire d’un couple mythique dont tout le monde connaît la fin tragique. Il ne s’agit donc pas de tenir en haleine le spectateur avec la question : que va-t-il se passer ? Mais plutôt de montrer le destin implacable à l’œuvre et de comprendre comment la haine, l’intolérance, les préjugés, l’absence de communication et d’écoute peuvent aboutir au pire ! »

Le metteur en scène propose ici une adaptation accessible au grand public de la pièce mythique, permettant ainsi de faire vivre et transmettre à l’infini le génie de Shakespeare .

Même rédacteur·ice :

Roméo et Juliette

Texte de William Shakespeare (1597)
Mise en scène de Thierry Debroux
Comédiens et comédiennes : Mathilde Daffe, Baptiste Blampain, Julien Besure, Denis Carpentier, Cathy Grosjean, Michel Poncelet…
Scénographie : Patrick De Longrée
Costumes : Anne Guilleray
Lumières : Noé Francq
Décor sonore : Loïc Magotteaux
Maquillages et coiffures : Gaëlle Aviles Santo
Chorégraphie des combats : Émilie guillaume
Chorégraphie des danses : Emmanuelle Lamberts

Représenté au Théâtre Royal du Parc à Bruxelles du 8/09/2022 au 22/10/2022