critique &
création culturelle
Maintenant Rentre et Attends,
quelques notes autour de « Golem ! Avatars d’une légende d’argile »

 

 

Tu ne serais pas le fils d’Adam ?
On l’est tous, non…
Qu’est-ce que tu aimes faire ?
Ça dépend avec qui.
Avec moi, alors ?
Avec toi, tout.

(G. Obiégly, Mon prochain , éditions Verticales)

Vous connaissez sans doute Marseille ? C’est la deuxième ville de France, mais on dirait un autre pays. Je ne vous écris pas depuis Marseille, autant vous prévenir tout de suite. Quand on a la chance d’y passer, il y a bien mieux à faire que griffonner des mots dans un carnet : Noailles, le Vieux Port, l’Estaque… les Calanques, le fort Saint-Jean, la corniche Kennedy… le quartier du Panier, celui de la Belle de Mai…. Belsunce, l’Alcazar… la vieille Charité… Enfin, Marseille, quoi !

Ce n’est pas de tout repos la cité phocéenne dont Albert Londres proclamait qu’elle est le phare de la Méditerranée. Marseille dont est issu IAM, le groupe de rap qui a tant fait bouger les têtes des amateurs du hip-hop français, comme Zidane fit battre les cœurs des supporters d’une équipe de foot alors métissée. Non, je vous écris depuis Paris.

Ce n’est pas du tout qu’on s’emmerde dans la capitale, cette première ville de France. Comment le pourrait-on, n’est-ce pas le point de chute international de tout ce que la planète compte d’amoureux et de naufragés ? Il y a le cimetière du Père-Lachaise et le quartier de Belleville… Montmartre… l’île Saint-Louis…. Saint-Germain-des Prés… sans oublier la rue du Faubourg-Saint-Antoine qui conduit au génie de la Bastille ; ainsi que la place des Vosges, dans un coin de laquelle fait mine de se cacher la maison de Victor Hugo. Il y a certes de quoi voir ; et de quoi faire. Entre cinés et musés, métros et restos, on ne s’embête pas une seconde dans cette métropole qui court à toute vitesse on ne sait trop où. Fourmilière moderne avec luxe et misère, spectacles et détresses, plaisirs et vertiges.

Hier encore, c’était le centre du monde, le foyer rayonnant des Lumières, la mesure du bon et du beau… Aujourd’hui, si on en est un peu revenu, il flotte encore dans l’air un charme incomparable ; il reste agréable de parcourir les rues et les avenues de cette grande dame légèrement exténuée sous les trop nombreuses étreintes d’amants trop voraces. Il y a encore moyen de se perdre dans son labyrinthe fastueux et menteur, et de croiser parfois les yeux d’une passante à l’âme tendre. Quoi qu’il en soit, il vaut mieux prendre des notes si l’on souhaite pleinement profiter de Paname, conserver intact toute la fraîcheur de son admiration : écrire sur elle, contre elle, dans son dos, voilà un conseil qui ne coûte rien – ça permet de tenir le coup, de ne pas se laisser écraser dans la folie d’une incessante circulation.

Une exposition est un prétexte idéale pour pareil exercice. Encore faut-il que le sujet vous branche. Le Golem, c’est tentant. Ça se passe pour l’instant au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, rue du Temple, dans le Marais. Une petite rue à l’abri des boutiques de fringues, à l’écart des snacks de falafels, et de la cohue des touristes, du défilé de croquants. C’est de là que je m’adresse à vous, cher lecteur. Plus précisément de la cour intérieur du bâtiment à laquelle on accède après avoir franchit le portique de sécurité : « Bonjour, qu’est-ce qui vous amène ? » vous a demandé l’inévitable mais non moins courtois agent, avant de vous prier très poliment de déposer toutes vos affaires sur le tapis roulant, et d’avancer jusqu’à la ligne jaune tracée au sol, puis de pousser la porte du sas… pas d’inquiétude, à la billetterie c’est plus convivial déjà, comme si vous faisiez partie de la maison, vous êtes désormais introduit dans la place par un chaleureux sourire d’accueil : « c’est pour le Golem ? Ça commence au premier. » Golem ! Avatars d’une légende , votre ticket s’il vous plaît.

Qui peut dire qu’il sait quelque chose sur le Golem ? On le relègue dans le domaine des légendes jusqu’au jour où un événement survient dans les ruelles qui lui redonne brusquement vie…

(Gustave Meyrink, Le Golem )

Maintenant vous êtes dedans : la voix de Jorge Luis Borges récitant son poème El Golem ouvre la visite : oui, oui, vous pouvez même prendre la feuille de papier sur laquelle est imprimée le texte entier qui résonne à vos oreilles – en espagnol avec en face la traduction française :

Plus sûre que celles par qui un vague

Fantôme est glissé dans la vague histoire

Verte et vie demeure la mémoire

De Juda Löw, qui fut rabbin à Prague.

Assoiffé de savoir ce que Dieu sait,

Ce Löw se voua aux substitutions

De lettres, aux difficiles permutations,

Si bien qu’un jour il prononça le Nom qui est

La Clef, la Porte et l’Hôte, la Demeure et la Grâce.

Ce fut pour enseigner à un pantin

Modelé par ses maladroites mains,

Le secret des Lettres, du Temps et de l’Espace.

Si vous ne le saviez pas, vous serez heureux d’apprendre que Golem est un nom masculin qui vient d’un mot hébreu. Il peut signifier tour à tour, selon le contexte : « masse informe », « embryon », « chrysalide », « sot », « rustre », « personne crédule », « robot », « leurre à forme humaine », etc. Et que, dans la culture juive, il désigne un être artificiel que des sages initiés et persévérants ont le pouvoir d’animer à l’aide de différents rituels magiques combinant des lettres hébraïques. Novice patenté, je ne donnerai pas ici un cours d’histoire, non plus que je ne me risquerai à une exégèse talmudique sur la symbolique dont recèle ce personnage de boue, de poussière et de souffle, dont le nom apparaît pour la première fois dans la Bible, au psaume 139 :

Mon être n’échappa point à tes regards,

quand je fus formé dans les mystères, artistiquement

organisé dans les profondeurs de la terre.

Tes yeux me voyaient, quand je n’étais qu’une masse informe (Golem) , et sur ton livre

se trouvaient tous les jours qui m’étaient réservés

avant qu’un seul ne fît échos.

L’expo est une lente et passionnante dérive autour de ce nom ; une suite de variations autour de ce mythe : une figure qui traverse les âges et les époques depuis la nuit des temps jusqu’à la science fiction, la cybernétique, et la robotique. Si vous désirez une explication drôle et concise de l’histoire de ce monstre bienveillant quoique parfois ingouvernable qu’est le Golem, allez voir de ce pas l’épisode 4 de la saison 18 des Simpson : Krusty transmet à Bart le récit du Golem de Prague et du rôle qu’il joua pour protéger les juifs d’un énième pogrom. Mais vous pouvez tout aussi bien regarder le film d’animation de Jan Svankmajer, Obscurité, Lumière, obscurité , dans lequel à partir de rien un colosse d’argile se construit et se pétrit lui-même, procédant par tâtonnement, créateur et créature à la fois.

Car ce que représente ce justicier d’avant-garde, ce super-héros d’argile, c’est le rêve prométhéen de la création : cette possibilité mystérieuse et obscure, cette pulsion logée dans les entrailles humaines de dépasser sa condition et de se rendre égal à dieu. En fabriquant une œuvre qui nous ressemble, donnant vie à la matière inerte, comme si là était notre vérité, notre destin, le sens de notre place dans le monde : une lutte acharnée contre la mort. C’est pourquoi la tradition rapporte que celui qui veut donner naissance à un Golem doit inscrire le mot EMET (vérité) sur le front du monstre, et lorsque vient le moment de s’en débarrasser il suffit d’effacer la première lettre, l’aleph, ce qui transforme le mot EMET en MET (mort).

Avant de vous laisser poursuivre votre chemin, permettez que j’évoque l’Homme de terre , le film de Boris Lehman dont quelques extraits sont projetés dans la section « Un mythe plastique ». Ce film tire son origine du désir du sculpteur belge Paulus Brun de réaliser une statue en argile grandeur nature de son ami cinéaste. Ce dernier filme donc sa transformation en sculpture, puis le passage de celle-ci à l’état de Golem. Cette « golémisation » du réalisateur vaut le détour, elle se révèle une mise en abyme riante et profonde de l’origine du Golem, et de ses métamorphoses successives dont une des leçons pourrait être la suivante : la meilleure façon de faire vrai, c’est d’inventer. C’est l’imagination qui est la condition de la vérité. Les seuls personnages vrais sont ceux qui n’ont jamais existé.

Nécessaire de reprendre souffle une fois sorti de là. On est un peu noyé dans cette masse d’images et de textes, de signes et de correspondances. Il y a beaucoup, peut-être trop : de choses, d’idées, de références, de formules, de dessins… Rentrons au bercail, me dis-je intérieurement : attendre ma douce amie qui revient tout juste de Marseille, lui raconter l’histoire du Golem. Vous savez, celle que rapporte Gershom Sholem dans son pieux bouquin, la Kabbale et sa symbolique ( page 180) :

Un homme avait laissé par insouciance grandir son Golem ; il était devenu si grand qu’on ne pouvait même plus attendre son front. Alors il ordonna, par peur, au valet de lui enlever ses bottes, avec l’idée qu’étant baissé, il pourrait lui attendre le front. Cela réussi, la première lettre fut enlevée mais tout le poids d’argile tomba sur le juif et l’écrasa.

Même rédacteur·ice :

Golem ! Avatars d’une légende d’argile

À découvrir à Paris

jusqu’au 16 juillet 2017

au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme .