360 de Mehdi Kerkouche
Au cœur du mouvement, une expérience

Encore une fois, Mehdi Kerkouche a électrisé le public parisien avec un spectacle percutant. Dans une scénographie circulaire, la proximité surprend, la danse transporte. Avec 360, création attendue, le chorégraphe propose une œuvre vibrante.
En mai dernier, Mehdi Kerkouche a dévoilé 360 à Chaillot – Théâtre national de la Danse. Présentée pendant la 6e édition de On dansera chez vous, festival porté par le chorégraphe lui-même, cette nouvelle création réaffirme Kerkouche comme un des favoris de la scène chorégraphique parisienne. Avec 360 et dans le contexte du festival, Kerkouche manifeste une fois de plus sa volonté de rendre la danse accessible en créant du lien avec les publics. Mehdi Kerkouche dirige aujourd’hui le Centre chorégraphique national (CCN) de Créteil et du Val-de-Marne ainsi que sa compagnie EMKA, fondée en 2017. En seulement quelques années, il a su s’imposer comme un chorégraphe incontournable en France avec des productions largement appréciées, comme l’a prouvé le succès du spectacle Portrait créé en 2023 et sens cesse reprogrammé à la Scala de Paris. Ayant collaboré avec de nombreux·ses artistes populaires comme Angèle ou encore Louane, Kerkouche incarne une nouvelle génération de chorégraphes, qui allie exigence artistique et accessibilité.
La scénographie de 360 surprend dès l’entrée en salle : une scène circulaire, au milieu d’un public debout. Un dispositif assez inhabituel pour un spectacle de danse, mais qui instaure directement une impression d’immersion — et beaucoup de curiosité. Avant même que cela commence, on a le sentiment d’être amené·e à participer. Au milieu de la scène trône une grande structure cylindrique, comme un échafaudage circulaire, avec deux plateformes et des échelles pour accéder au sommet. L’ensemble, dans l'obscurité de la salle et la sobriété générale de la scénographie, instaure une atmosphère enveloppante et mystérieuse. Quand les danseur·euses entrent sur scène, sur fond d’une musique atmosphérique et de plus en plus forte, l’ambiance devient presque austère, mais entraîne petit à petit le public dans le mouvement.
La proximité physique avec les danseur·euses donne au spectacle une dimension quasi participative, comme s’il s’agissait d’un concert. La scène circulaire, le public debout, conjugués à la musique électronique de Lucie Antunes, instaurent une véritable transe collective, où les spectateur·ices se laissent prendre par les sons et les visuels. Une multiplication des points de vue, tant pour les artistes que pour les spectateur·ices, qui offre une expérience mouvante et plurielle.
Sur le plan chorégraphique, le mouvement est répétitif, impulsif, et en parfaite symbiose avec la musique de Antunes. Même si dans l’ensemble les gestes sont organiques, la chorégraphie est parfois brusque et donne beaucoup d’importance aux impacts qui viennent surprendre à des moments-clés. Comme avec ses précédents spectacles, Kerkouche fait preuve d’une musicalité impressionnante : la musique fait corps, et inversément. Avec la disposition de la scène et du public, ce type de spectacle entraîne un mouvement global et crée un effet mimétique sur les spectateur·ices - on a envie de reproduire les mouvements avec la troupe. La synchronisation entre les interprètes est impressionnante, même si la danse leur laisse à chacun la liberté d’exprimer leur singularité. Les lignes sont imparfaites, chacun·e se les approprie à sa façon tout en maintenant le rythme et l’ensemble. Mehdi Kerkouche sait mettre en valeur ses interprètes, qui viennent d’horizons différents. Cette diversité rend le spectacle plus humain et intensifie la proximité entre la scène et le public.

Toutefois, cette proximité crée également une tension. Le spectacle met en scène des moments d’effort, de lourdeur et même d’épuisement. Par moment, les danseur·euses semblent être en difficulté. Ielles s’observent, et parfois se soutiennent, parfois entrent en conflit. Cette discordance est renforcée par cette scénographie toute particulière, qui implique une chorégraphie qui, forcément, induit des déplacements en cercle. La troupe, comme influencée par un champ magnétique, se perd dans quelque chose de cyclique et sans fin, les mouvements sont comme propulsés par des moteurs extérieurs aux corps. Cette impression se manifeste particulièrement à un moment clé du spectacle : toute la troupe est immobile, sur la plateforme supérieure de la structure, à l’exception d’une danseuse qui court autour de la plateforme. En même temps, un danseur fait également le tour de la scène, mais en marchant calmement, indifférent à sa partenaire en pleine course. Le reste des interprètes tente alors progressivement de la stopper. C’est un passage long et éprouvant à observer, mais plein d'émotions. Les énergies sont contraires : les corps s’attirent, puis se repoussent. Les regards se suivent, puis s’ignorent. Le rapport aux autres devient ambivalent, presque contraignant, et questionne sur notre capacité d’agir face aux difficultés extérieures.
D’ailleurs, l’observation est frappante dans 360, que ce soit entre les interprètes ou avec le public. Il y a une dimension oppressante dans cette chorégraphie, qui se ressent et qui fascine. Le public debout enferme les danseur·euses, sans possibilité d’échapper en coulisse à moins de traverser la foule. C’est presque malsain, surtout dans les passages de difficulté, de conflit. L’inclusion est totale, et même si le spectacle a un aspect immersif, le public ne peut pas tout à fait intervenir. Les frontières se brouillent complètement quand, vers la fin du spectacle, les danseur·euses descendent de la scène et se perdent dans la foule : on ne distingue plus les artistes du public, tout le monde danse et frappe dans ses mains. La musique électronique et les effets stroboscopiques engendrent un délire et un enthousiasme généralisés. On peut y lire une métaphore de co-dépendance entre la scène et le public : pour survivre, le divertissement a besoin du public, autant que le public a besoin du divertissement.
360 est une œuvre intense, touchante par son ambition et percutante dans sa métaphore. Elle invite véritablement à danser et à ressentir une immersion collective unique. Mehdi Kerkouche fait preuve d’une sensibilité manifeste, et le public s’y montre réceptif, surtout dans un contexte où la culture est en difficulté et où il est plus que jamais essentiel de créer du lien, de proposer des expériences partagées. 360 nous rappelle que l’art peut encore émouvoir et faire communauté.