Fabrice du Welz signe un retour attendu dans les Ardennes de son enfance, en confirmant sa propension à se défaire des genres. Entre tension et poésie, Adoration se laisse difficilement apprivoiser.
Avec Adoration , Fabrice du Welz ajoute un nouveau chapitre à sa trilogie ardennaise, composée de Calvaire (2004) et Alleluia (2014). Il renoue ici avec ses préoccupations premières et ses thématiques singulières, appuyées par une mise en scène lumineuse. Et il démontre définitivement son obsession pour les Ardennes belgo-françaises, qu'il explore ici telle une catharsis, comme si le cinéaste désirait panser ses plaies après une expérience douloureuse sur le sol américain avec Message from the King (2017).
C’est fini, plus aucun producteur ne me marchera sur la tête. Si je dois faire des petits films pour ça, je ferai des petits films toute ma vie. Accoucher de films dont on n’est pas absolument fier, c'est intolérable pour moi. Je veux être en symbiose avec mes films. 1
Amour aveugle
On retrouve ainsi le personnage de Gloria, en remontant cette fois aux origines troubles de cette jeune fille à l'aura fascinante. Magnifiquement interprétée par Fantine Harduin, Gloria est internée pour un désordre psychologique profond. Obnubilée par un seul but, elle entraîne le jeune Paul (Thomas Gioria, découvert dans Jusqu’à la garde ), dans un périple sauvage pour retrouver la demeure de son grand-père.
Si Calvaire et Alleluia , les deux autres opus de la trilogie, étaient tantôt plongés dans une brume épaisse, tantôt dans une noirceur folle, Adoration étonne directement par son aspect solaire. Le cinéaste est en permanence à la recherche du soleil et de ses reflets enivrants. Épaulé par Manu Dacosse, excellent directeur de la photographie pour Alleluia déjà, du Welz a choisi de recourir à la pellicule 35mm pour le tournage du film, conférant un caractère onirique aux images qu'il compose. Il multiplie les plans où l'éclat lumineux transperce l'image, opérant dès lors un rôle propre dans la mécanique du récit. L'astre aveugle symboliquement le jeune Paul, faisant grandir sa fascination, une adoration étourdie, à l'égard d'une Gloria toujours plus insaisissable. Sa folie, sa fougue, son énergie s'additionnent harmonieusement au caractère lunatique et à l'innocence de Paul. Ensemble, ils découvrent un utopique équilibre à leur binôme, qui trouve un contre-point évident en Hinkel, interprété tout en retenue par Benoît Poelvoorde. La tragédie de la destinée amoureuse de ce personnage isolé fait écho à la dévotion maladive de Paul, tout comme sa passion pour les oiseaux qu’on retrouve tatoués sur le dos de Hinkel.
La contemplation au service de la folie
L'intrigue, tout en retenue, permet au cinéaste de démontrer sa capacité à créer des ambiances pesantes qui bercent le cheminement des protagonistes. Fabrice du Welz s'autorise une liberté de mouvements qui reflète merveilleusement, presque amoureusement, les états d'âmes déchirants des deux jeunes protagonistes. Chez lui, la passion est viscérale. Elle touche à l'affect, aux sentiments. Elle est sournoise et vicieuse, engendrant l'éclatement de dérives pathologiques et de troubles émotionnels. Contrairement aux progressions narratives de Calvaire et Alleluia qui aboutissent sur une forme de violence apparente, la folie d' Adoration renvoie précisément à la retenue et l'interprétation. Le cinéaste belge développe un tel degré d’abstraction dans son récit que le spectateur est amené à envisager un questionnement simple et embrassant parfaitement les thématiques. Gloria existe-t-elle ? Ou résulte-t-elle de l'imaginaire et du besoin d'arrachement du jeune Paul à l'univers maternel désenchanté ? Le cinéma de Fabrice du Welz est plein de mystères, de renouvellements. Il signe avec Adoration son œuvre la plus contemplative, démontrant l'étendue de son investissement tant artistique qu'émotionnel.