American Honey
à vif
American Honey parle d'une Amérique blanche qui s'est éveillée de son rêve. Andréa Arnold s’aventure dans l’Amérique profonde en suivant une bande de jeunes désillusionnés en quête de survie à travers le Midwest. Cette pépite sortie en 2016, prix du jury du festival de Cannes, est une sacrée descente de fentanyl.
American Honey est l’histoire de Star, une jeune texane qui rêve de fuir sa famille, noyée dans la “merditude des choses”. Ils sont de cette Amérique qu’on ne montre pas, celle qui fait les poubelles et qui traîne une gueule de bois interminable. Abandonnés par leur mère, elle tente de mener la barque tant bien que mal, protégeant ses cadets d’un beau-père violent et incestueux. Un jour, elle croise la route du flamboyant Jack et de sa bande d’itinérants. À bord de leur van, ils sillonnent les États-Unis en quête de rien, entre arnaques et larcins, de motels en motels. Le jeune rebelle campé par un Shia Laboeuf charnel, charismatique et insaisissable propose à Star de l’accompagner. Attirée par ce séduisant Jack, par les promesses de l’aventure au parfum du risque, elle décide de troquer sa vie d’impasses contre une vie d’incertitudes. L’adolescente embarque avec cette famille du hasard liée par la désillusion et la rage d’extorquer à la vie ce qu’elle ne leur n’offre pas. Sauvages, brutes, libres, ces jeunes forment une meute aux mains roublardes et vides, possédée par la toute-puissance qui hurle des sons de trap au clair de lune. Entre les premiers éblouissements du voyage et les premiers émois de l’amour, du sexe, de la jalousie, Star saute à pieds joints et avec appétit dans la vie qu’elle s’est choisie. Reste à s’intégrer.
Ce road movie est un lance-flamme. Quand Andrea Arnold nous parle de cette Amérique-là, je pense inévitablement aux photographies de son compatriote britannique Nick Waplington : dans Living Rooms , celui-ci témoigne d’une Angleterre post-industrielle, celle des maisons d’ouvriers, des quartiers désaffectés, des salons minuscules aux murs plein de graisse et de bâillement de clopes froides. On traverse une Amérique blanche, entre les banlieues chics et les maisons en carton ; la bannière étoilée est une nuit sombre. Son bleu délavé est celui d’un ciel lourd, mélancolique. Il n’y a rien dans cette Amérique-là, elle est vide. Arnold la filme sans nous imposer quoi que ce soit, même pas d’aimer les héros. On aurait pu croire que tout serait fait pour qu’on s’attache au moins à Star (incarnée par Sasha Lane qu’on espère découvrir davantage) mais c’est juste une ado ordinaire, pauvre comme des milliers de personnes, de celles qu’on croiserait sans ciller à la sortie du supermarché. Les jeunes de cette bande sont bruyants, sales, vulgaires et parfois même agaçants. Leur jeu d’acteurs authentique et l’absence d’angélisme de la précarité font d’ American Honey , une oeuvre plus que crédible et donc prenante. Pour moi, le brio du film est d’exposer les choses sans verser dans le pathos. On les suit, tout simplement, puis on décide de ce qu’on va faire de ce que l’on a vu, du constat à en tirer. On se surprend à digérer le tout plusieurs jours plus tard : l’histoire, les couleurs, le propos. Tout est brut, instinctif, y compris l’image qui tient presque du documentaire à sa façon de s’attarder sur les choses ; tout est trash sous une apparence lisse et pastel : les cow-boys lubriques, les chercheurs d’or noir, les mères droguées, la scène de sexe quasi cannibale. Cette jeune troupe de mercenaires modernes nous plonge dans le vide d’elle-même, dans le vide des idéologies qu’on lui propose, dans le vide de l’errance. Elle veut juste vivre, survivre. C’est la suite cafardeuse de Sur la Route , celle qu’on ne voulait pas imaginer. Un film miroir, un bilan cynique. Les rêves ont juste crevé au fond d’un cendrier, ne reste que la vie, le bruit, les corps. Un jour après l’autre.