Blue Giant
Jazz classique parsemé de bémols
Karoo a pu visionner Blue Giant en avant-première au festival Anima 2024. Un long métrage d’animation adapté du manga de Shini Zuka, qui met en scène le jazz japonais au travers du prisme de la ténacité.
La première scène donne le la en présentant le héros dans un environnement poétique mais hostile : Dai Miyamoto révise ses gammes seul dans la neige. Il transperce la noirceur de la nuit et le froid de l’hiver par les notes rondes et chaudes de son saxophone.
Sa musique étant son refuge, il s’entraîne avec assiduité pour devenir le meilleur jazzman du monde. Dai décide de prendre les rênes de sa vie en se rendant à Tokyo pour tenter de donner corps à son rêve. Il débarque à l’improviste chez Sunji Tamada, son ami d’enfance. Celui-ci, uniquement intéressé par les filles et le foot, décide de le loger chez lui, un peu à contre-cœur.
Dai rencontre rapidement Yukinori Sawabe, pianiste talentueux mais orgueilleux. Pourtant exigeant, il accepte de former un duo avec notre héros dont le talent l’impressionne. Tamada décide lui aussi de se lancer dans la musique pour les rejoindre en tant que batteur. Leur objectif : jouer au So Blue, le club de jazz le plus prestigieux de la capitale.
Blue Giant aborde un thème rarement abordé dans le cinéma d’animation : le jazz. Depuis les années 50, il est pourtant devenu un genre hyper populaire sur l’archipel nippon. Il est donc naturel de voir arriver des œuvres qui lui rendent hommage. D’ailleurs, l’aspect musical joue un rôle clé dans ce film : le ton chaleureux du jazz charme en effet les oreilles du public tout au long du métrage.
Dès les premiers concerts, l’animation reflète les émotions que les personnages ressentent. Elle se permet de quitter le réel en ajoutant dynamisme, couleurs et distorsions. Une mise en scène surréaliste et psychédélique qui donne l’impression d’être face à des combats épiques sortis des shonen1 les plus martiaux. La performance devient presque un combat. Avec la musique intense qui s’accélère, ces séquences captent l’attention avec ardeur et offrent au public le sentiment de plénitude que procure la musique aux personnages.
Hélas, le réalisateur Yuzuru Tachikawa utilise de l’animation 3D pour retranscrire au mieux les mouvements des musiciens. Ce parti pris ne plaira pas à tout le monde. En effet, on pourrait défendre que la motion capture2 donne à certaines séquences une fluidité qui détonne trop avec le reste des séquences d’animation 2D. Ce changement esthétique vient couper l’admiration du spectateur pour ces retranscriptions artisanales du réel. Ce qui dérange, c’est de passer d’une performance d’animation à un pâle calque de la réalité, sans interprétation artistique du moment.
Malgré quelques scènes marquantes, le reste du scénario s’essouffle rapidement. La structure de la trame manque de diversité et de profondeur. Elle se renferme sur elle-même en se focalisant uniquement sur les trois personnages et leur but. Leurs relations ne sont pas non plus très développées : après leurs concerts, ils se contentent de parler du nombre d’erreurs qu’ils ont pu commettre et c’est tout, à peu de choses près. La trame de départ qui paraissait ambitieuse se révèle insipide. Quoi qu’il leur arrive, les héros surpassent tous les éléments perturbateurs sans difficultés. Tout ça grâce au pouvoir magique du travail et de l’amitié… Bref, une histoire monotone qui rend le film un peu long.
Tous ces aspects se compilent dans un final qui manque de panache et de sentiment d’accomplissement. Blue Giant plaira sans doute aux amateurs d’animés et de jazz, mais n’ira pas au-delà de ces publics. Il se repose peut-être trop sur les acquis scénaristiques des shonen classiques. Heureusement, s’en dégagent quelques séquences de créativité vibrante.
Hippolyte Waiengnier & Jérôme Warichet