Chassé-croisé
Succès critique et populaire, en lice pour pas moins de neuf Magritte, Tous les chats sont gris aura été la surprise belge de l’année 2015. Pourtant, le premier film de Savina Dellicour part d’un postulat ultra-classique : une adolescente à la recherche de son père biologique. Derrière cette prémisse quelque peu banale se cache un film généreux, drôle et surtout, pertinent.
Il est en effet rare de voir la jeunesse dépeinte de manière correcte à l’écran. Si l’adolescence est la période la plus difficile de la vie, elle est également la plus compliquée à mettre en scène de façon véridique. Beaucoup se sont cassé les dents à essayer de filmer des ados, se noyant le plus souvent dans un puits sans fond de stéréotypes. Ici, l’héroïne, Dorothy, est une ado parfaite : imprévisible, blasée, obnubilée par son nombril. Et l’on y croit complètement, en grande partie grâce au jeu de grande qualité de Manon Capelle.
En réalité, la seule chose qui intéresse vraiment Dorothy, c’est de retrouver son véritable père. Chose à laquelle s’oppose très fortement sa mère pour de mystérieuses raisons. Celle-ci ne lui a jamais avoué qu’elle était d’un autre père et ne laisse aucune liberté à sa fille.
C’est pourquoi Dorothy n’y va pas par quatre chemins et prend contact avec un détective privé, Paul, afin de comprendre ses origines. Et ce, sans savoir que le détective en question est probablement son géniteur. Ainsi va naître une relation particulière entre ces deux personnages. Si Manon Capelle joue de manière très convaincante, Bouli Lanners, dans le rôle de Paul, crève carrément l’écran. Sa prestation est parfaite, sans fausse note. Voir ces deux personnages évoluer ensemble alors qu’ils sont aussi paumés l’un que l’autre a quelque chose de touchant.
Comme dans les autres films du prix des Lycéens, l’analyse d’une relation est au cœur du scénario. Dans Tous les chats sont gris , cette relation est fondée sur la contrainte et le non-dit. En réalité, les deux personnages principaux évoluent sous le joug de la mère de Dorothy qui, d’une part, isole sa fille et l’empêche de s’émanciper et, d’autre part, interdit à son ex de dire la vérité. Malgré la gravité apparente de la situation, Savina Dellicour parvient à garder un ton léger tout au long du film et le côté mélodramatique indissociable de ce genre d’histoire n’est jamais pesant. Et ce, jusqu’au dénouement final, d’une rare intensité, qui ne peut que nous tirer un sourire en voyant le générique défiler.