Daaaaaalí ! de Quentin Dupieux
Du rêve sous la moustache
Ne vous attendez pas à un biopic. Après Le Daim, Mandibules et Yannick, l'imprévisible Quentin Dupieux nous plonge dans l’univers surréaliste de Daaaaaalí ! : un hommage drôlement poétique.
Quentin Dupieux nous propose un Salvador Dalí fuyant les propositions d’une journaliste débutante, qui rêve de l’interviewer, interprétée par la touchante Anaïs Demoustier. Le peintre exigeant que ses précieuses paroles soient filmées, ce qui devait être un simple entretien de quelques minutes se transforme en un film documentaire. Ensuite, ce film se métamorphose en un rêve, qui redevient enfin un film… jusqu’à ce qu’on ne sache plus exactement ce qu’on est en train de regarder : la spécialité de Dupieux, comme dans le mystérieux Réalité avec Alain Chabat, sorti en 2014.
On ne peut évidemment pas parler de cette œuvre sans saluer le défi saugrenu que s’est lancé son réalisateur : partager le rôle de Dalí entre six acteurs. Celui-ci est principalement joué par les excellents Édouard Baer et Jonathan Cohen qui n’auraient pas pu mieux l’incarner. Alors que les moustaches de Gilles Lellouche et Pio Marmaï, bien moins excentriques, apparaissent très peu à l’écran, de la même manière que les surprenants Didier Flamand et Boris Gillot. Cependant, cette succession de six visages sert le film en illustrant la complexité de ce personnage à l’humeur changeante, qui accepte puis refuse continuellement le projet de la journaliste.
Dans cette optique, un de ces six Dalí est une personne d’un âge avancé qui se déplace en chaise roulante. Quand il apparaît, la comédie prend soudain une autre tournure. Derrière le petit génie égocentrique, Dupieux nous suggère la fragilité d’un grand enfant, tant dans le caprice que dans la peur de vieillir, tel qu’illustré par un journal qui titre « Salvador Dalí va mourir ! ». Cette envoûtante réflexion sur le temps qui s’écoule est appuyée par une musique répétitive, comme un étrange tic-tac (provenant peut-être d’une montre molle), composée par Thomas Bangalter : le musicien sous le casque argenté de Daft Punk. Sans oublier l’effet inattendu des quelques séquences filmées à l’envers, puis inversées au montage, qui insistent sur l’indomptable passage des années.
Toutefois, je vous rassure : on rit quand même beaucoup. Certes, l’accent catalan et les exclamations théâtrales du personnage principal finissent vite par faire partie du décor. Mais la comédie ne s’arrête heureusement pas à cela. La seconde moitié du long-métrage nous surprend encore et encore, grâce à un comique de répétition qui nous explique à plusieurs reprises que la scène que l’on vient de voir était un rêve. Jusqu’à croire que ces 77 minutes ont été montées dans le seul but de perdre le spectateur, qui se retrouve face à un choix : refuser la folie-Dupieux et sortir frustré du cinéma, ou bien se laisser porter et rire des absurdes retournements de situation.
En outre, Quentin Dupieux caricature brillamment les vices de l’industrie cinématographique par l’intermédiaire d’un personnage macho et hypocrite, dont Judith, la journaliste, subit plusieurs fois les conseils déplacés. D’une part, les répliques de ce producteur cupide, interprété par Romain Duris, l’invite à être « plus sexy » pour séduire Dalí, d’autre part, il promet de lui envoyer « pleins de techniciens qui courent partout » pour impressionner le peintre, tout en étalant sa critique de la célébrité et du métier de comédien.
À la fois scénariste, réalisateur, directeur de la photographie et monteur, Dupieux crée un univers cohérent tout droit sorti de sa seule imagination. On accepte naturellement les dialogues les plus fous, car les acteurs sont plongés dans un décor minutieusement truffé d’accessoires insolites et d’éléments de la peinture surréaliste de Dalì. Mais on croit aussi aux sentiments de confusion et d’inquiétude, accentués par la tombée de la nuit et le clair-obscur d’une salle-à-manger, contrastant avec l’attitude et le costume du peintre.
Une fois de plus, Quentin Dupieux nous mène en bateau pour mieux nous surprendre, dans un drôle de rêve qu’on n’est pas près d’oublier. Douze moustaches, un calepin et quelques notes de guitare sur fond de paysages espagnols, telles sont les couleurs de ce merveilleux tableau intitulé Daaaaaalí !.