Dans Du thé pour les vautours, Lucas Mommer nous conte six histoires fantastiques aux méandres enjôleurs et pernicieux : entre l’épouvante des récits et la beauté des mots.
Muni d’une plume riche, Lucas Mommer distille ses atmosphères, tour à tour angoissantes, merveilleuses et ensorceleuses. Une maîtrise des registres et des tons qui permet de s’investir dans chacune des nouvelles de Du thé pour les vautours de manière particulière : entre l’ambiance vaseuse du « Château des embruns », la poésie florale et solaire de « L’Hamadryade », le dégout intrigué d’« Un art étrange », la féroce belligérance de « Assiégés », l’envoutement charbonneux de « In fato Venenum » et, finalement, la langueur étouffante « Du thé pour les vautours ».
Tout, dans ce château aux relents et à l’allure de fosse sous-marine, paraissait englouti à la fois par la mer et par le temps, excluant la possibilité qu’il pût abriter autre chose que ces immondes créatures aquatiques, arrivés dans ces ruines par je ne sais quel noir sortilège, mais destinées seulement à y mourir, et dont les salles chargées d’embruns empilaient les carcasses malodorantes comme les reliefs d’un immonde buffet.
Je ne donne ici qu’un descriptif succinct des différentes nouvelles, davantage de l’ordre du ressenti que du résumé, car tout le plaisir de lecture se construit au fur et à mesure des textes, dont il serait bien dommage de gâcher la découverte. Certains textes, relativement courts, tirent d’ailleurs leur force du déchiffrement continu de leurs personnages : qui sont-ils, que font-ils ? Tandis que d’autres, plus longs, les laissent évoluer pas à pas dans des décors oppressants, étouffants, et pour finir étranglants, comme le château maudit des embruns de la première nouvelle, ou les Montagnes Embrasées de la dernière. Malgré quelques nœuds d’intrigues convenus, les nouvelles demeurent solides et j’ai apprécié me laisser bercer dans les bras malsains des différents récits.
Le sol siliceux, que même les ombres avaient déserté, exsudait alors une chaleur insupportable qui ralentissait bêtes et hommes, en même temps qu’elle rendait toute halte périlleuse. Lorsque les corps prenaient le risque de s’immobiliser, dangereuse était la tentation de ne jamais se relever, de préférer se laisser rôtir jusqu’à l’évanouissement pour mettre fin au supplice.
H. P. Lovecraft, Edgar Allan Poe, Jean Ray, ou encore Clark Ashton Smith1 , tels sont les noms évocateurs qui permettent de se faire une idée large de l’ambiance du recueil Du thé pour les vautours . Les nouvelles ici présentes évitent toutefois la simple digestion d’influences directes ou indirectes d’auteurs connus (dont je n’ai moi-même lu que quelques récits), mais parviennent à s’en sortir de leur propre voix, via leur touche moderne de l’épouvante, du macabre et du merveilleux. Et bien que je dise « moderne », Lucas Mommer jongle avec le langage et parvient à lui donner des saveurs d’antan, par l’usage, de-ci de-là, de phrasés archaïsants ou d’un lexique suranné. Un style riche, littéraire, qui à de rares moments semble malencontreusement tourné sur lui-même, mais qui parvient à faire mouche la majorité du temps, avec ses descriptions imagées et ses actions vivement croquées.
Quoique les Anciens eussent unanimement statué que l’âme trouvait son siège dans le cœur et manifestait sa valeur à travers les actions commandées par celui-ci, notre temps a enfanté des penseurs bien plus pragmatiques, pour lesquels il ne fait aucun doute que le légendaire souffle de vie est plutôt à chercher dans la chair, réceptacle vivant qu’il parcourt inlassablement pour y imprimer la marque de nos joies et tourments.
Enseignant le français et le latin en région liégeoise, Lucas Mommer livre ici un premier recueil de nouvelles engageant, qui sans conteste invite à suivre ses productions futures. Du thé pour les vautours délivre des substances méphitiques ou odoriférantes via une prose travaillée et des intrigues dont l’humanité se révèle par l’effroi, la décadence, le dégout, le mystique et l’étrangeté. Quelques récits d’épouvantes baroques et truculents pour se tourmenter littérairement, quitte à se sentir maléficié pour quelque temps.