critique &
création culturelle
Entretien avec
Olivier Blin

Sous l’ombre d’un arbre, à l’entrée du Poche, son nouveau directeur Olivier Blin nous a octroyé une petite demi-heure d’entretien, histoire d’en savoir un peu plus sur lui et sur son boulot.

À peine assis…

Olivier Blin : Pour commencer, on fait une traditionnelle fête d’ouverture au Théâtre de Poche. Je viens depuis trois ou quatre ans (je suis assez jeune directeur, depuis trois ou quatre mois), c’est une belle fête d’éclate, mais je crois qu’il fallait aller lui chercher un surcroît de sens, étant donné que ça correspondait aux cinquante ans du Poche dans le bois de la Cambre, même s’il est né plus tôt, en 1951. C’est donc le moment de rendre hommage aux directeurs qui se sont succédé. Les deux premiers ont dirigé le théâtre pendant soixante ans.

Et puis, ça m’amusait de remonter des spectacles que j’avais vus dans les années quatre-vingt ou nonante. J’étudiais à l’ULB, le théâtre était sur le chemin, j’ai donc à peu près tout vu au Poche entre dix-huit et vingt-deux ans. Il y a des spectacles qu’on a oublié, mais il y avait deux ou trois tubes. Du coup, remonter les Videurs, Trainspotting, Tu ne violeras pas … a du sens. Je trouve que c’est chouette de travailler leur mémoire.

Je voulais établir un lien entre le passé et ce que je vais défendre aujourd’hui. Parce que la question qui existe entre les deux, c’est presque celle du romantisme. Les créateurs du théâtre étaient pour moi des pirates, ou plutôt des corsaires. Ils ont fait beaucoup d’annonces, ont fait des propositions résolument progressistes, ils ont montré des pièces qui ne pouvaient pas être montées, que ce soit à cause du sens ou pour des raisons économiques… Ils ont décliné l’histoire du théâtre par l’anecdote. La plus connue, c’est qu’ils se sont rencontrés au Congo… Cet esprit un peu frondeur, parfois un peu provoc’, j’ai envie de le perpétuer avec ce que je suis.

C’est peut-être une question un peu naïve, mais on se demandait d’où venait le nom du théâtre, « Poche » ? Et comment te réappropries-tu cette étiquette ?

L’idée de la poche vient de Roger Domani, le fondateur, qui a d’abord créé dans un appartement. C’était vraiment tout petit, et puis très vite il a émigré vers la chaussée d’Ixelles, là où l’on a créé les galeries de la Toison d’Or. Mais c’était aussi petit. Puis quand les galeries ont été abattues, il a migré au Congo.

On garde le label, si tu veux. J’ai envie de parler aux gens. Le lien avec les spectateurs, c’est quelque chose de vraiment important. Si la question c’est « est-ce que je me revendique d’un petit lieu », non, j’ai plutôt envie de me revendiquer d’un lieu où il pourrait y avoir deux salles.

C’est dans les projets du théâtre ?

Oui, c’est un projet historique en fait. Il devait y avoir une salle de répétition en haut, puis plus assez d’argent. Si ce n’est pas une salle, j’ai envie qu’il y ait des chapiteaux autour, ou carrément faire deux représentations par soir.

Je reçois chaque jour deux ou trois projets de compagnies qui aimeraient s’installer au Théâtre de Poche. Je n’aime pas tout, mais quelques fois par semaine je me dis qu’il y a des choses pas mal, mais ça en fait quarante sur l’année. Sans compter ce qui me tient à cœur, ce que j’ai envie d’amener. On doit faire des choix, mais j’aimerais avoir plus de possibilités, pouvoir programmer plus.

Tu reçois des textes de théâtre… et tu fais ensuite appel à différentes personnes pour les mettre en scène ?

Ça se fait tout le temps au théâtre, et particulièrement au Poche. Il y a quelques cas de figure. Soit les projets arrivent, soutenus par les aides aux projets et dont on décide d’être coproducteurs. Donc on rencontre un auteur et son envie de monter son texte. Ça, pour un théâtre, c’est le plus chouette. On doit composer une sorte de mosaïque idéale en contactant un metteur en scène et des comédiens, et en essayant de faire éclater les clans. C’est que je faisais dans mes emplois précédents, avant le Poche. Ou bien on est parfois touché par des sujets, et on passe une commande à un auteur.

Olivier Blin présente la saison.

Tu évoques tes anciens emplois, quels étaient-ils ?

J’ai quand même travaillé ici pendant dix ans, entre mes vingt-quatre et mes trente-quatre ans. C’était une petite équipe, à l’époque il y avait quatre personnes. Puis je l’ai quittée pour créer une association qui s’appelle la Charge du Rhinocéros . Mon idée était de faire de la coopération artistique, c’est-à-dire mêler des gens d’ailleurs et des gens de chez nous. J’ai ensuite fait la production de toute une série de spectacles, en règle générale un peu engagés ou qui proposaient une vision du monde. Il y avait donc pour moi quelque chose d’assez naturel à poser ma candidature au Théâtre de Poche.

Quelques mots sur la saison. Qu’est-ce qui t’a motivé à faire cette programmation ? Est-ce que tu programmes seul, est-ce que tu démarches en solo, ou est-ce que tu as autour de toi une sorte de conseil ?

Sur les aspects pratiques, je programme effectivement seul, mais comme je suis un garçon plutôt prudent, il n’y a pas un comité de lecture ou décisionnel autour de moi, mais j’ai au moins quelques amis qui, gentiment dans l’ombre, acceptent toujours de jeter un œil sur les projets. Ce n’est pas parce que leur avis dit X que je ferai X, mais j’ai en tout cas des gens que je consulte avant de programmer un spectacle. C’est un métier où l’on a un droit à l’erreur mais il faut essayer de les limiter, évidemment.

Je suis arrivé dans un territoire relativement vierge, à savoir qu’il n’y avait pas de spectacles à reprendre, pas de spectacles à diffuser (ce qui est mon truc, d’ailleurs), il fallait donc en créer. Cette saison-ci est ainsi formidable, puisque c’est une saison « page blanche » : on a neuf spectacles à la création (ou à peu près). Et il y a des axes là-dedans, dont celui du témoignage. Angleterre, Angleterre , Pas Pleurer sont des spectacles témoins. Et puis il y a l’axe social, j’ai envie que le Poche soit aussi une sorte de portrait du monde, et aussi envie qu’il y ait de la dérision. Qu’on voie chez nous le miroir de nous-mêmes, et qu’on puisse en rire. Ce n’est pas très nouveau comme vision pour le Poche, je transporte ça des générations précédentes.

Tu parles d’axe social. Comment perçois-tu la situation culturelle en Belgique, la manière dont elle est traitée par la politique ? Est-ce que l’avenir du Poche pourrait être en danger ?

Non, je ne le pense pas parce que le théâtre a septante ans, je n’ai donc pas peur de ça. Au contraire, je lui prédis un bel avenir. Et je pense qu’il est nécessaire qu’il reste subventionné, parce que c’est un endroit où l’on doit prendre des risques, c’est un endroit où il faut faire sens, le Poche est progressiste. Je m’en voudrais beaucoup de proposer des spectacles pour flatter l’avis du public et dire exactement ce qu’il pense. Pour moi, il doit rester public.

C’est évident que la conjoncture sociale et économique est vraiment complexe, et il faut diversifier les sources de financement. Le Poche sera toujours soutenu par le ministère de la Culture et par la ville de Bruxelles, mais il faut aussi des financements alternatifs. Penser à décentraliser la subvention correspond finalement au répertoire qu’on propose ici.

On est sur des modèles qui ne sont plus uniquement de l’ordre de la subvention publique. Mais tout le monde ne peut pas le faire. Ici, on est dans un répertoire plutôt populaire, je trouve, donc les possibilités financières sont plus faciles à concevoir que pour des théâtres qui font davantage attention à la recherche formelle. Et c’est peut-être ces théâtres qui doivent absolument continuer à être subventionnés par les aides publiques.

Roland Mahauden, ancien directeur du Poche.

Est-ce que tu aurais un mentor, une personne de référence ?

Il y a quelque chose de tellement éphémère dans le théâtre… Souvent, j’ai été épaté par l’intelligence, la vie, l’assurance des gens qui passaient. Il y a certainement Roland Mahauden 1 , qui m’a ouvert à certaines formes d’expression artistique, et d’autres personnes qui sont passées par ici à l’époque.

Il y a aussi une série d’auteurs qui m’ont fondé comme individu. Des auteurs plutôt virils en fait. Je me suis souvent couché avec Martin Eden de Jack London sous l’oreiller, j’ai été fasciné par Hemingway ou par les romans de guerre de Romain Gary. Dans Martin Eden je me reconnais énormément. Ce sont plutôt des livres qui m’ont accompagnés. Comme tu vois, je ne me suis pas fait dans la délicatesse et la douceur, ou dans la passation d’un mentor dans un processus de type maçonnique…

Donc le livre qui t’a le plus marqué serait Martin Eden

Oui, mais j’ai quand même quelques livres qui m’ont travaillé. Zola, j’ai à peu près tout lu. Cette écriture naturaliste qu’on a retrouvée souvent dans le théâtre. Et puis la Route de Cormac McCarthy, je l’ai avalé page après page. Il y a une lutte intuitive dans ce bouquin.

Un film à épingler peut-être ?

Pareil, il y en a beaucoup… je te dirais Into the Wild.

Une autre œuvre ?

Celle d’un peintre, Spilliaert. Et en théâtre… j’en vois beaucoup et j’en lis beaucoup donc avant que ça me scotche. Mais la première fois que j’ai été au théâtre, j’ai découvert Un certain plume avec Philippe Geluck. Et c’est là que j’ai vu le travail, un mec se donner, transpirer, aller jusqu’au bout. Les concerts d’Higelin m’ont aussi pas mal frappé, dans le genre générosité, travail et acharnement.

Même rédacteur·ice :

Retrouve la saison sur le site du Théâtre de Poche , et lis l’avis de Christophe Ménier sur Un arc-en-ciel pour l’Occident chrétien , paru aussi cette semaine !

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