critique &
création culturelle
L’art du regard

La vie d’un photographe peut aussi être dangereuse. Les risques qu’il prend lui coûtent quelquefois son avenir. Malgré cela, il reste impossible de le priver de son sens du point de vue, inné et inaltérable. Mais la confiance qu’il lui porte peut quant à elle subir quelques dommages.

Quel choix de titre judicieux pour ce court métrage.

Les Corps étrangers

sont partout, dans chaque plan, dans chaque image.

Les Corps étrangers

Un corps étranger pour Alexandre, ancien photographe qui a perdu la moitié de sa jambe gauche. Rien n’est plus pareil, tout est à réapprendre. Marcher, nager, se débrouiller seul, vivre en société sous l’œil curieux des autres… Perdre son identité corporelle, c’est perdre la face et ne plus supporter les regards, mais c’est aussi envier, et oublier que voir le bonheur vaut bien plus qu’être satisfait. Alexandre possède ce talent d’observer, de regarder et d’attendre le meilleur moment pour arrêter le temps. Mais son nouveau corps l’empêche d’y avoir recours, il l’empêche d’exister. Il se sent étranger à lui-même, et se considère comme étranger aux yeux des autres. Car le regard d’autrui est peut-être différent, mais le dégoût ne se situe pas chez eux, il est en lui.

Sous l’eau, les autres sont eux aussi étrangers à eux-mêmes. Alexandre observe ce qui se passe sous la surface. Il s’y cache pour mieux examiner la déformation de leur corps, et nous offre ses observations. Il s’accepte alors, spectateur de leurs défauts et de leurs différences. Être photographe, c’est aussi affirmer que les autres sont des sujets extérieurs à soi-même, des éléments que nous positionnons selon notre point de vue et selon notre sensibilité.

D’abord focalisée sur sa nuque, la caméra nous présente le poids qui pèse sur ses épaules, elle utilise notre regard pour l’alourdir encore, et dévoile ensuite progressivement le personnage dans son milieu. Elle nous invite à adopter sa vision des choses, ce qu’il vit et ce qu’il ressent. Nous sommes souvent au plus près de lui, vivant à ses côtés, partageant certains aspects de sa condition. Pierre, le kinésithérapeute d’Alexandre, l’aide à réinvestir le monde afin qu’il puisse le manipuler à nouveau. Il lui rappelle qui il est, et ce dont il est capable.

Certains événements incongrus peuvent altérer nos sentiments. Lorsque nous ne percevons plus les choses à leur juste valeur, le hasard arrive parfois à nous sortir la tête hors de l’eau. Des manifestations de la nature, des imprévus, une parole maladroite ou une faveur inattendue se muent en bouées inespérées. Alexandre éprouvera ainsi l’audace des enfants qui, sans crier gare, est susceptible de nous aider à nous accepter tels que nous sommes.

https://www.youtube.com/watch?v=yIgNcBzbyhE

Même rédacteur·ice :

Les Corps étrangers

Réalisé par Laura Wandel
Avec Alain Eloy, Michaël Abiteboul
Belgique , 2014, 16 minutes