critique &
création culturelle

Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau

Un voyage aux antipodes des contes Disney

Depuis notre monde à la fois familier et méconnu, où l’humain a disparu, Gints Zilbalodis nous plonge dans l’univers de Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, son second film d’animation. Le réalisateur letton y raconte l’épopée d’un chat qui, accompagné d’un labrador, d’un lémurien, d’un messager-sagittaire et d’un capybara, lutte pour survivre à la montée des eaux.

L’histoire de Flow est en apparence très simple : suite à une crue diluvienne, un groupe d’animaux drôlement assortis et n’appartenant pas au même écosystème se retrouve contraint de cohabiter et de s’entraider.

À travers le regard du chat noir, l’approche est à la fois naïve et touchante. Le film choisit délibérément de ne pas offrir de réponses claires sur le contexte, plongeant le spectateur dans une forme d’incertitude. Comme le chat, on observe, perdu, sans vraiment comprendre : esseulé et abandonné, le chat vit dans un milieu où les félins sont représentés sous forme de statues. Ils sont presque vénérés comme en témoigne l’immense statue érigée en leur honneur et qui deviendra le salut du protagoniste lorsqu’il tentera de monter aussi haut que possible pour échapper à la noyade. Le fait que le contexte ne soit pas explicite entraîne le spectateur à la dérive à l’instar des animaux, car il n’a rien auquel se raccrocher.

Comme dans son premier long-métrage, Away (2019), Gints Zilbalodis réitère l’approche scénaristique par le biais de la catastrophe. Si Away traitait d’une catastrophe aérienne, le réalisateur change cette fois-ci d’élément pour aborder son histoire à travers une catastrophe aquatique. Il en profite d’ailleurs pour glisser des messages subliminaux çà et là, telle que la statue du chat engloutie par les eaux, représentant visuellement l’angoisse du félin de se retrouver lui-même sous le niveau de l’eau. Fort heureusement, un navire décrépit, conduit par un capybara tranquille, vient à sa rescousse et d’autres animaux embarquent ensuite par peur ou nécessité.

Un autre message fait alors surface : l’entraide est primordiale à la survie. En revenant aux fondamentaux, l’histoire de Flow communique de façon poétique les valeurs du vivre ensemble, de l’entraide et de la solidarité. Ce qui donne un arc narratif très intéressant dans son développement puisque le chat, d’abord espiègle et solitaire, voit sa relation avec le monde extérieur changer grâce à ses nouveaux amis. Cette transformation est magnifiquement illustrée par le premier et le dernier plan qui se font échos : au début, le chat contemple son propre reflet, tandis qu’à la fin, la flaque d’eau reflète non seulement son image, mais aussi celles de ses compagnons. La boucle est ainsi bouclée.

Cependant, bien que le scénariste Matīss Kaža et le réalisateur Gints Zilbalodis aient fait particulièrement attention à ce genre de détails, il subsiste par moment des problèmes de continuité qui peuvent sortir le spectateur du film. Par exemple, comment la meute de chiens est-elle arrivée sur l'îlot en pierre ? Ou encore, comment le troupeau de cerfs a-t-il survécu à la montée des eaux ? Ces questions sans réponses viennent perturber la cohérence de l’histoire.

En revanche, le travail sur les décors est tout simplement exceptionnel. Ceux-ci offrent au cadre une sensation de grandeur, d’immensité, de gigantisme et décuplent la puissance de la nature par rapport à ces animaux perdus et traumatisés dans leur quête de survie. Ces décors ont été créés à l’aide de la technique du temps réel, souvent utilisée dans les jeux vidéo. Cette manière de fabriquer permet de générer plus d’étendue (il y a effectivement, dans Flow, de la végétation et de l’eau à perte de vue) à moindre coût, tout en assumant l’aspect inachevé et parfois flou de l’image. Si l’environnement présente une imagerie impressionnante, il y a tellement de décors qu’il est impossible de réellement se situer : où se trouvent les personnages ? Jusqu’où voyagent-ils ? Le film oscille notamment entre inspirations aztèques, asiatiques, et une architecture moderne au milieu de la nature. Résultat : nous sommes immergés dans un monde qui, bien qu’étrangement familier, reste totalement inconnu.

D’ailleurs, Flow reprend de nombreux codes cinématiques liés aux jeux vidéo. Il est difficile d’échapper à la comparaison avec le jeu vidéo Stray, dans lequel un chat vagabond se balade dans un monde post-apocalyptique dystopique. Il suffit de remplacer les robots humanoïdes par des animaux, et les ambiances sinistres et glauques par des environnements plus colorés et lumineux, pour obtenir Flow. Ce sentiment d’appartenance aux jeux vidéo est d’autant plus renforcé par la caméra placée à hauteur d’animal et par un suivi fluide des personnages à l’aide de magnifiques trackings1.

À l’opposé des productions Disney où il est acquis que les animaux parlent et chantent couramment dans notre langue, le réalisateur Gints Zilbalodis a de nouveau choisi de ne pas recourir au dialogue. En effet, rien n’est communiqué par le biais des mots. Cette décision met en avant un autre élément tout aussi crucial que le dialogue : les bruits ambiants, à travers le design sonore.

Les sons d’atmosphère sont très fidèles à la réalité : autant la faune que la flore créent une immersion dans cet univers naturel apocalyptique. Chaque son possède son importance, allant du clapotis de l’eau, a priori insignifiant, au miaulement du chat pour communiquer ses émotions. Et si le design sonore prend sa juste place dans Flow, la musique est elle-même équilibrée dans ses apparitions et met en valeur les sons naturels et aquatiques. Composée par le réalisateur ainsi que par Rihards Zaļupe (compositeur et percussionniste letton), la musique ne cherche jamais à nous imposer une émotion. Au contraire, la bande-son accompagne les images, alternant des airs électroniques planants pour l'ambiance flottante sur l'eau, des percussions pour signifier le danger, et des ensembles à cordes pour les moments plus contemplatifs.

La représentation des animaux et de leur comportement est, en revanche, plus ambigüe. Même si ceux-ci sont caractérisés le plus justement possible par des aspects typiques de leur race (le lémurien aime tout ce qui brille, le capybara dort beaucoup, le chat est curieux mais peureux, le chien est joueur, etc.), un certain anthropomorphisme a été introduit pour les besoins de l’intrigue. Pour faciliter l’identification, l’animation a dû donner à ces êtres des regards, des gestes et des expressions très humaines. Par exemple, le messager-sagittaire se montre tout à fait capable de diriger le gouvernail du navire, une scène qui semble quelque peu décalée au regard des caractéristiques animales. La question se pose alors : quel est le juste milieu entre une représentation réaliste des animaux (au risque de tomber dans le documentaire) et un anthropomorphisme nécessaire à la fluidité de l’histoire ?

La direction artistique est, quant à elle, très tranchée : les décors offrent un parti pris très réalistes tandis que les personnages dénotent un style plus singulier. De plus en plus de films d’animation appliquent un effet 2D sur de la 3D (il suffit de voir la série Arcane pour en avoir un bel aperçu), et Flow n’échappe pas à cette tendance. Toutefois, l’effet « peint au pinceau » appliqué aux poils et aux plumes des animaux peut déstabiliser. Il est plus facile de s’habituer au style des animaux à poils courts (comme le lémurien) ou aux plumes (le messager-sagittaire), qu’à celui des animaux à poils plus longs comme le chien ou le chat. Et c’est là le principal défaut de Flow : la représentation assez étrange de son protagoniste. Le chat a des déformations anatomiques assez prononcées avec notamment des biceps, des coudes et des pattes excessivement longues pour un chat. Si ses yeux immenses permettent de mieux exprimer ses émotions, l’aspect du chat détonne avec les efforts faits pour coller au réalisme sonore et visuel des autres animaux. Cette remarque s’applique également à la gestion de la lumière sur les personnages. Quand le chat se trouve surexposé, il apparaît plat et gris, ce qui est particulièrement problématique une fois intégré dans un milieu qui n’a ni changé de couleur, ni perdu de son volume.

Accessible à tous grâce à son absence de dialogue et à la diversité de ses environnements, Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau séduit par son approche simple et poétique. Immersif grâce à ses sonorités naturelles et porteur de valeurs fortes comme l’entraide, ce film est très abordable tant pour les enfants que pour les adultes. Bien que quelques imperfections subsistent, elles sont rapidement compensées par l’ensemble de l'œuvre, qui ne cherche pas à être parfaite mais qui fascine par la beauté de ses images et la richesse de ses personnages, à la fois charmants et uniques.

Même rédacteur·ice :

Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau

Réalisé par Gints Zilbalodis

Lettonie, France, Belgique, 2024

84 minutes

Voir aussi...