Vous ne pouvez pas me traverser
Fond d’écran (23)
Fond d’écran, c’est une image, une peinture, une photo… En quelques lignes, pourquoi et comment elle a laissé une empreinte indélébile sur votre rétine ! La plateforme f/75 , regroupant des photographes s'identifiant comme femmes, non-binaires ou non-cisgenres, se prête au jeu et se penche sur le travail de concitoyen·nes.
Dédicace à ce corps anguleux, aux sourcils épais, aux yeux noirs vifs, au regard dur et conscient. Dédicace aux griffes sur le bois, aux années qui courent, aux lèvres serrées, aux dents cachées, le souffle retenu. Dédicace aux bras levés haut, aux corps forts, solides, présents, compacts. Les cheveux coupés aux ciseaux et le regard droit vers la rue. Méfiance de souris.
Dédicace à la maturité de l’adolescence, aux saveurs acides de l’enfance, l’expression faciale de celles qui connaissent les questions comme les réponses.
Aux tenues légères, sales et blanchâtres, dédicace à ce corps en guerre, du plus jeune âge.
Les pieds nus qui collent sur les pavés chauds, Palermo l’a fait grandir plus vite. Dans la main ouverte, toute la force qu'elle possède. Elle assure le combat. Elle a un seul moment pour nous. Un seul moment pour montrer, de jeune femme à femme, qui elle est, ce qu’elle vaut, ce dont elle rêve, de qu’elle craint.
Elle court plus vite, elle détient le jeu. Toutes les lignes de son corps parlent d’elle et nous parlent. Elle va se défendre, elle va nous accueillir. Pas besoin de questions, d’indications ou d’efforts. Dédicace à cet écho de courage qui résonne, cette liberté qui fonce, plus forte que toute parole écrite, cri ou procès.
En mai 1980 à Monreale, non loin de Palerme, à quelques semaines de distance avant cette photographie, c’est la consécration du Santissimo Crocifisso. Parmi les bruits des feux d’artifices, dans la galerie chaleureuse des illuminations de fête, un coup de feu atteint dans le dos Emanuele Basile, collaborateur policier antimafia de Paolo Borsellino.
La photographe et photojournaliste sicilienne Letizia Battaglia, à travers ce cliché emblématique, donne son sens le plus noble à la photographie : la reconnaissance de la dignité humaine. Par la puissance d’un jeune regard féminin, elle capture la prise de résistance, mais aussi la fragilité, face à toutes formes de prévarications. Au-delà de l’image, en dehors du symbole. Je suis, tu es, elle est, nous sommes libres. Vous ne pouvez pas me traverser.