critique &
création culturelle

Gawbé et Edouard Van Praet

Perdus pour de bon dans la FrancoFaune

Le premier octobre dernier, Gawbé et Edouard Van Praet ont ouvert le bal de la 11e édition du festival FrancoFaune. À cheval entre rock, poésie et électro, la capitale s’est laissée apprivoiser le temps d’une nuit par des créatures scéniques aussi singulières qu’attachantes.

On s’était déjà fait une idée du festival FrancoFaune lors de l’édition précédente, et c’est donc reparti pour un (joyeux) tour. Chaque mois d’octobre, FrancoFaune est le rendez-vous annuel des amoureux des « espèces musicales francophones en voie d’apparition ». Un festival à taille humaine efficace pour entamer l’automne sans déprime saisonnière. Une affiche éclectique qui met – sans mentir – la francophonie à l’honneur, qu’elle soit belge, française, suisse ou québécoise, et ce, dix nuits durant. Des concerts qui traversent une variété de salles bruxelloises, pour un public aussi inspiré qu’inspirant. Vous vous retrouvez avec de véritables aficionados de la scène francophone mais aussi des artistes (des éditions précédentes) et des professionnels du paysage musical belge. La recette marche bien. L’organisation de concerts « itinérants » diversifie inéluctablement l’expérience live tout au long de la programmation, et la sélection méticuleuse des têtes d’affiche et de leurs premières parties assure aussi son lot de précieuses trouvailles.

Si, de l’extérieur, FrancoFaune peut ressembler à un entre-soi de professionnels du microcosme musical bruxellois, il reste un espace de réseautage terriblement accueillant, qui casse toute barrière entre le public et les artistes (avec lesquels on peut bavarder très naturellement aux stands de merchandising après les concerts).

Pourquoi réserver vos billets pour l’année prochaine ? Parce que cette édition regorgeait encore de trésors, et qu’avec son cadre intimiste niché dans les recoins les plus chaleureux de la capitale, le festival agit comme un anti-grisaille ultra puissant. Le 1er octobre 2025, Karoo était aux premiers rangs du VK (rue de l’École à Molenbeek-Saint-Jean) pour assister à une soirée d’ouverture haute en couleurs : la québecoise Gawbé en première partie, suivie de l’étoile grimpante belgo-canadienne Edouard van Praet.

Gawbé : le rock alternatif québécois « slacker et dramatique »

20h15 - C’est sous la voix enveloppante de Gabrielle Coté de Gawbé que s’ouvre le bal.

Arrivée deux jours plus tôt en Belgique, chemise à carreaux, guitare rouge à flammes, la chanteuse et sa pop rock à la fois douce et énergique prennent possession des lieux – et son jet lag passe totalement inaperçu. Accompagnée de François au clavier, de Mathieu à la basse et de Jeremy à la batterie, la meneuse du gang québécois installe immédiatement un climat sonore très rock, à la fois nerveux et mélancolique.

Les titres s’enchaînent au rythme des paroles imagées, poétiques, intimes (« Calme tes ardeurs Mauvais quart d’heure Si j’reste comme ça J’aurai tu réussi ? » du titre « L’endroit l’envers » tiré de son dernier album). Parfois comparée à celle de Rhian Teasdale (Wet Leg), la voix de Gabrielle Coté se glisse nonchalamment entre des refrains aux airs de Malajube et aux montées rythmiques parfois plus électro (écoutez le morceau « Eczema » qui rappelle la batterie signature de Matt Helders des Arctic Monkeys).

Pas besoin de longues interactions avec le public pour le séduire : Gabrielle habite la scène. Le dernier titre se conclut sur un « vive le Québec libre ! » qui réchauffe toute la salle.

Nos coups de cœur : le mélodieux titre « Zigzag » tiré de son EP Ciseau Zigzag dont les premières notes rappellent la batterie de Cold War Kids, « Avant derrière » pour son envolée délicate qui ramènera à votre bon souvenir certains refrains des Strokes, « L’endroit l’envers » (cité plus haut), titre principal de son dernier album qui se clôture sur un « J’ai jamais vécu aussi fort » qu’on vous souhaite de tout cœur aussi.

Edouard Van Praet : phénomène phénoménal

Impossible de décrire un concert d’Edouard van Praet sans le trahir : il faut le vivre. Vraiment. Mais puisqu’on est là, autant essayer de vous donner un retour sur cet instant aussi magnétique qu’énigmatique.

Mon premier est un personnage principal. Écorché vif, dandy poétique d’une autre époque, Edouard van Praet (EVP pour les intimes) est un auteur-compositeur-interprète belgo-canadien (très) polyvalent. Son style bouscule toutes les tentatives de catégorisation. Une sorte de fusion chimérique de genres, à la fois rock n’ roll et électro qui revendique une identité musicale inclassable : pop psychédélique, punk jungien et folk freudienne – on vous laisse là-dessus.

Mon second est une expérience à part entière, qui a le pouvoir de transformer un mercredi en vendredi soir. Lunettes noires et chemise en soie, le « crooner damné » déboule sur le coup des 21h17 avec sa dégaine monochrome pour délivrer sa « carte blanche1 ». Micro enroulé autour du cou, entouré de ses acolytes – Sam (guitare), Gaston (basse) et Matteo (claviers) – il s’empare du VK. Et on est, nous aussi, instantanément enchaîné à cet intrigant ovni.

Edouard ne tient pas en place : quand il ne débarque pas dans le public, il s’accroupit avec le micro, rampe, danse – incarne sa musique dans tous les sens (du terme). À des années-lumière de l’arrogance, il partage anecdotes et autodérision, raconte sans se la raconter. Rien n’est jamais statique : il multiplie les collaborations et offre une belle vitrine à ses invités. D’abord Hector des Stonks, puis Lucie de Lou K et Felix de 39bermuda !.

Sur « Faux Mystère » – titre principal de l’album sorti en 2024 – il installe une atmosphère encore un cran plus dark et « déverse ses cris » (premier degré). Après son duo avec Hector, il explique que la soirée marque la fin du « Cringe Mega Tour » amorcé un an plus tôt au Botanique et qu’Hector fait partie de ses premières collaborations. Puis, changement radical de ton avec Lucie qui chante « Beau Moment » pour une ballade acoustique très délicate. L’ambiance perdure sur « Pamela » (et son clin d’œil romantique à Nina) avant que « Sandimamorane333 » ne fasse remonter la tension avec ses basses massives qui déclenchent un pogo (timide) dans le public. Costume gris, techno martiale et voix dark, Felix the Wolf fait son entrée (en allemand !) avec un synthé en arrière-plan avant une reprise de « Satisfaction » qui embrase le VK.

La suite reste brûlante. Sur « Afterwork », Lucie et EVP font sauter la foule, « Echoes » se termine sur un signe de croix d’Edouard, suivi par « Remplaçable » – titre phare qu’il introduit en ironisant « y a aussi du français, t’as raison » et qui lui vaut une petite descente dans le public. Il revient avec Lucie sur « Ce que je veux » titre fraîchement sorti qu’on vous invite à écouter en pressant la touche « replay ». Il disparait dans les coulisses, laissant derrière lui une salle électrisée et un public conquis.

Mon tout est donc un show marquant, la piqûre de rappel qui tombe à pic pour se souvenir que la force du live est inégalable, que l’énergie d’EVP est faite pour le spotlight, et qu’octobre n’a qu’à bien se tenir. Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne ressort pas indemne de ses concerts. Et qu’on n’est d’ailleurs plus certain d’être un mercredi.

Nos coups de cœur : « Pamela » pour ses paroles travaillées ; « Ce que je veux » qui vient de sortir et est à streamer sans rougir ; l’excellent « Is this Over ? » de son premier EP Doors ; enfin l’addictif « Pink Factory » de son album Cycle sorti en 2022.

Encore une fois, FrancoFaune nous a bien attrapés. Et on a déjà hâte de vous raconter la suite…

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