critique &
création culturelle

Holga Circle 48 de Fabien Ruyssen

Studio expérimental au cœur de LaVallée

Rencontre avec Fabien Ruyssen lors de son exposition Holga Circle 48 : une installation expérimentale alliant procédés cinématographiques et passion pour la photographie. Le photographe nous livre les coulisses de sa création vidéo, où l'expérimentation technique semble parfois prendre le dessus sur le message véhiculé. L’exposition, qui met en lumière le cycle de la vie, était visible à LaVallée du 24 octobre au 2 novembre 2024.

C’est suite à la réception d’un dossier de presse envoyé par sa compagne que j’ai rencontré Fabien Ruyssen. En plein montage de sa nouvelle exposition organisée par The Palm Beach à LaVallée, nous avons discuté de sa pratique photographique, de son dernier projet et des défis que suscitent les métiers de la création.

Après des études à l’INRACI, Fabien Ruyssen entreprend une carrière d’assistant caméra dans le cinéma. S’il est passionné par l’aspect technique de ce métier, cela ne l’empêche pas de développer, en parallèle, une pratique personnelle de la photographie. Les codes cinématographiques qui imprègnent ses images leur confèrent une forte dimension narrative. Chaque cliché est comme un arrêt sur image, comme une scène suspendue dans le temps. Chaque objet de la mise en scène est disposé comme un indice, guidant la narration pour le spectateur.

Comme dans ses projets précédents, la mise en scène est calibrée au millimètre près : des costumes qui semblent provenir de différentes époques, jusqu’au canon à fumée qu’il a fabriqué lui-même avec du matériel de jardin. Toutefois, tous les codes du cinéma ne sont pas nécessairement pertinents. En effet, certaines photographies sont marquées par un certain male gaze1, avec des femmes photographiées en sous-vêtements, ce qui, à mon sens, ne renforce en rien l’impact évocateur de ces images.

Comme au cinéma, rien dans ses photographies n’est laissé au hasard. Chaque image est minutieusement calibrée en amont. « L’acteur » se place sur une marque au sol, une seule prise est effectuée, et le portrait est capturée. Les costumes, le dispositif, la lumière et le cadrage sont soigneusement étudiés. Chaque photo fait l’objet d’une mise en scène soignée et laisse peu de place à l’improvisation. Déformation professionnelle ou désir de tout maîtriser ?

Cette maîtrise de l’image se heurte à la texture brute de ses clichés. Quand il travaille pour le cinéma, Fabien Ruyssen ne peut pas prendre en compte tous les paramètres. Cela me rappelle mon professeur d’art de la scène qui comparait la création d’une pièce à la confection d’un gâteau : chaque corps de métier représente un ingrédient essentiel à sa réalisation. Au cinéma, c’est un peu la même chose. Mais lorsqu’il pratique la photographie, Fabien Ruyssen peut fixer les règles et reprendre la main sur son sujet.

C’est en lisant Une brève Histoire du temps de Stephen Hawking que germe l’idée de l'exposition Holga Circle 48. Dans son ouvrage, Hawking évoque l’aspect cyclique des éléments qui nous entourent : des atomes, aux planètes qui gravitent sans fin dans l’univers. Fabien Ruysen a voulu transposer cette réflexion au cycle de la vie humaine. Ce projet, ambitieux et singulier, tire son nom des 48 appareils photo utilisés pour la réalisation du film qui en découle. Le modèle Holga, connu pour ses aberrations techniques, donne un relief particulier aux différents portraits. Pour Fabien Ruyssen, c’est une façon de révéler, en quelque sorte, les « imperfections » qui façonnent nos vies. J’ai toutefois l’impression que cette décision tient davantage d’un choix esthétique que d’une véritable intention sémantique.

Sur le plan technique, l’installation comprend 48 appareils photos disposés sur un rail permettant une prise de vue à 360° de chaque sujet. En choisissant des modèles d’âges et de sexes différents, il évoque les différents stades du cycle de la vie. Grâce à ce dispositif, Fabien Ruyssen crée sa propre machine photographique, une sorte de bullet time2 artisanal.

Le premier défi technique consiste, au-delà du placement des 48 pellicules argentiques dans chaque boîtier, à trouver un moyen de déclencher simultanément les appareils à distance. Pour ce faire, il modifie chaque appareil photo pour pouvoir les déclencher à distance grâce à un système d’aimants, avec l’assistance téléphonique d’un électricien (période de Covid oblige). Les appareils sont reliés à deux batteries de voiture fournissant les 72 volts nécessaires pour les déclencher. Jusqu’au dernier moment, il ne sait pas si le système fonctionnera ou s’il risque de faire exploser le studio photo. Heureusement, l’expérience est un succès : 60 personnes passent devant son objectif, et près de 300 négatifs sont scannés par l’artiste pendant quatre mois – de quoi rendre fou…

La première partie de l’exposition est consacrée au processus technique employé par l’artiste, et ce n’est qu’à la fin du parcours que l’on découvre la vidéo. Cette transparence voulue par Fabien Ruyssen est rafraîchissante à une époque où l’art tend à devenir de plus en plus hermétique. Ici, le processus devient lui-même un objet d’exposition, au même titre que l’œuvre finie. Le choix d’exposer à LaVallée, plutôt que dans une galerie, permet d’ouvrir l’événement à un public plus large, soulignant une véritable réflexion sur le processus d’exposition et une démarche d’accessibilité de la part de l’artiste. Cette préoccupation se retrouve également dans le projet qu’il mène en parallèle, Break the Wall, dans lequel le processus d’exposition sera également interrogé.

Holga Circle 48 est un projet expérimental qui offre de nouvelles perspectives photographiques. Le mariage de la photographie argentique et des codes cinématographiques donne naissance à des images à forte charge narrative. Une série de portraits se succèdent au cours de cette vidéo où des personnages tantôt jeunes, tantôt âgés, sont tour à tour figés dans le temps, comme si la personne du premier portrait voyait sa vie défiler devant ses yeux. Lorsque la vidéo se termine, elle reprend au début, créant ainsi une boucle sans fin. On naît, on vit, on meurt.

Holga Circle 48

par Fabien Ruyssen
à suivre sur Instagram ici
The Palm Beach
à LaVallée du 24 octobre au 02 novembre 2024

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