Après The Grand Budapest Hotel en 2014, Wes Anderson revient dans les salles avec le film d’animation Isle of Dogs ( l’Ile aux chiens ). À mi-chemin entre le conte et la dystopie, le réalisateur y explore un univers plus sombre.
Comme pour Fantastic Mr. Fox en 2009, Wes Anderson s’est tourné vers l’animation en stop motion ou animation image par image. On retrouve ici encore la symétrie des plans et la symbolique des couleurs qui lui sont chères. L’équipe d’animateurs s’est attaquée à un travail colossal pour donner vie aux bêtes à poils, plus difficiles à animer que les personnages humains. L’effet du vent soufflant dans le pelage des chiens est sidérant de finesse technique.
Anderson inscrit son film dans la tradition de la culture japonaise : il s’inspire de célèbres estampes de l’ukiyo-e pour certains extraits du film en dessin d’animation traditionnel. Il rend également hommage à l’art du haïku (poème bref), du taiko (tambour géant), au saké et aux combats sumo.
Les personnages humains s’expriment exclusivement en japonais non sous-titré tandis que les chiens interagissent en anglais. Wes Anderson place ainsi le spectateur, frustré et incrédule, dans la peau d’un chien ne comprenant pas les langues humaines mais pouvant échanger avec ses congénères. Servant d’intermédiaires entre le spectateur et les habitants de Megasaki, les personnages de Tracey, l’étudiante américaine en échange scolaire (Greta Gerwig) et la traductrice anglo-japonaise (Frances McDormand), sont les deux seuls « humains » compréhensibles pour le spectateur.
Un casting cinq étoiles a prêté sa voix aux rôles canins de l’Ile aux chiens : Bryan Cranston d’abord, ainsi que les acteurs fétiches d’Anderson, Bill Murray, Edward Norton, Jeff Goldblum et Tilda Swinton. Les voix matures et posées des chiens contrastent avec le doublage habituel des animaux dans les films d’animation classiques. Cela leur confère une dimension étonnamment humaine.
Isle of Dogs est une judicieuse piqûre de rappel contre l’oubli des horreurs du passé : la déportation des chiens évoque le drame de la Shoah, tandis que leur mise en quarantaine rappelle la léproserie de Molokai dans l’archipel d’Hawaii. Kobayashi est une figure autoritaire dont la propagande s’inspire de la communication communiste et l’art productiviste. La dissidence utilise, quant à elle, des pochoirs qui évoquent les fenêtres Rosta de la même période. Le film est également porteur d’un message écologiste car l’île, couverte de déchets et à l’eau polluée, fait directement référence à l’île-poubelle de Thilafushi dans l’archipel des Maldives.
Alexandre Desplat réitère ici sa collaboration avec Wes Anderson pour la musique de ce film, composée d’un trop plein d’hymnes de défilés militaires, de cuivres de fanfare et d’instruments traditionnels japonais. I Won’t Hurt You du groupe The West Coast Pop Art Experimental Band apporte une touche de légèreté bienvenue à la bande originale.
Ours d’argent du meilleur réalisateur, Wes Anderson livre avec Isle of Dogs (prononcez « I love dogs »), une déclaration d’amour à nos fidèles compagnons à quatre pattes et un message de tolérance dont la résonance politique est particulièrement actuelle. Chief et Atari s’apprivoisent dans les pas du Petit Prince à travers ce conte. Malgré un scénario inégal et parfois prévisible, le réalisateur américain est à la hauteur de sa renommée dans ce film, techniquement de haut vol et riche de nombreux niveaux de lecture.
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