Juste la fin du monde est une pièce de théâtre écrite par Jean-Luc Lagarce en 1990 à Berlin. Elle s’inscrit après la mort de son auteur, atteint du VIH, comme étant un classique du théâtre contemporain. Il y aborde la thématique de la crise familiale mais aussi de la crise personnelle en racontant l’histoire de Louis, un trentenaire venu rendre visite à sa famille qu’il n’a plus vue depuis douze ans, pour leur annoncer sa mort prochaine.

Tout au long de Juste la fin du monde, Louis va être confronté aux différents membres de sa famille. Entre reproches, coups de théâtre, crises de communication et dialogues frôlant l’absurde, ce texte est une sorte d’autobiographie de l’auteur qui vit sa maladie et son homosexualité comme son personnage, en décalage avec son milieu social prolétaire du Sud de la France. Lagarce illustre ici son grand retour dans cette famille qu’il a fui durant tant d'années et à laquelle il devra à nouveau se confronter.

Une crise de communication centre toute l’histoire sur les non-dits et la quête du mot juste. Louis se retrouve dans une tension dramatique qui ne cesse d’augmenter. On peut qualifier ce récit d'œuvre dramatique avec comme sujet la famille, la maladie, l’appartenance et l’identité. Le tout se déroulant dans le contexte d’un dimanche en famille classique. Parmi les personnages, on retrouve la mère aimante et étouffante ; Suzanne, la jeune sœur avec qui tout lien a été rompu ; Antoine, le frère colérique et envieux et sa femme Catherine que Louis n’a jamais vue.

La particularité de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce réside dans l’utilisation de figures de style particulières, comme l’anaphore ou l’épanaphore. En d’autre termes dans Juste la fin du monde, les personnages reviennent sans cesse sur leurs propos, il y a des retours sur les mots et des répétitions. Une impression de bégaiement va rythmer les interactions entre les personnages, apportant une dose d’émotions forte et fébrile. On est sur le fil du rasoir en permanence, la tension augmente quand les mots deviennent de plus en plus justes. « Si tu en avais la nécessité, si tu en éprouvais la nécessité, si tu en avais, soudain, l’obligation ou le désir, tu saurais écrire, [...]. » Suzanne âgée de 23 ans s’adresse à Louis, l’accusant de ne pas prendre le temps de leur écrire plus de lettres.

Entre reproche et admiration, on ne sait pas toujours ce qu’elle essaye de lui dire. Elle tiendra alors durant ce passage le rôle de porte-parole de la famille et tentera de garder le cap face à son frère.  «Tu as dû parfois, toi aussi (ce que je dis) tu as dû parfois avoir besoin de nous et regretter de ne pouvoir nous le dire.»

On retrouve cette façon de dire les choses, cette écriture fragmentée, ces répétitions et ces reformulations de propos, témoignant stress et tristesse.

Abordée dans d’autres textes, notamment dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, cette notion de grand retour chez Lagarce est une façon de se mettre en scène dans un double qui le représente. C’est sa manière de parler de lui, notamment de sa maladie et de son homosexualité. Le personnage qu’il incarne dans ses œuvres lui permet de transcender son contexte social de classe moyenne provinciale. Ce retour du protagoniste parmi les siens dans Juste la fin du monde est une envie d’aborder des sujets compliqués, en particulier le plus difficile, la mort. Cependant, dans le texte, la volonté pour les personnages de partager leurs émotions est chaotique et vouée à l’échec. On se rend compte de la complexité d’aborder certains sujets fâcheux même avec ses proches.

Cette pièce dramatique frôle souvent l’absurde. Son auteur a écrit Juste la fin du monde en se sachant atteint du sida et sa façon d’écrire résulte de son envie d’exprimer sa douleur, sa maladie. Mais comme son personnage, Lagarce ne dit pas directement les choses et joue sur les formulations décalées. Au lieu de comprendre les mots, on comprend les émotions. « Dire les choses, les choses simples pour en revenir à moi » et « Je voulais tant revoir les visages aimés, les visages de ceux qui sont encore en vie ».

Mais la langue n’est pas ce qui nous permettra de décrypter les intentions, et les nombreuses répétitions empêchent une fluidité de lecture. La forme des phrases est décousue mais le fond est véhiculé par ses bégaiements et ses nombreuses tentatives de reformulations. En tant que lecteur, on est pris dans ce tourbillon de crise familiale depuis l’apéro jusqu’au dessert. L’auteur réussit à nous montrer que partager un sujet aussi touchant est presque impossible à formuler.

En 2016, le réalisateur québécois Xavier Dolan réinterprète Juste la fin du monde et reçoit le Grand Prix du festival de Cannes. Il aborde l’œuvre de Lagarce avec justesse en proposant des images remplies d’émotions : on retrouve en effet dans ce film des plans focus sur les micro-expressions des personnages ainsi que des effets de lumière sur les regards troublés, tristes, en colère… ce qui accentue la notion de non-dits. Que ça soit illustré par un grand réalisateur ou proposé avec des figures de style originales par l’auteur, la fragilité de la communication est au centre de cette œuvre dramatique. Elle nous fait prendre conscience de comment nous appréhendons notre propre famille, de comment nous communiquons avec celle-ci, et nous fait nous demander : leur avons-nous tout dit tant qu’il est encore temps ?