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création culturelle

Kazy Lambist

surfe sur la vague indéMODAble

Avec son électro-pop aérienne aux accents méditerranéens, le dernier album de Kazy Lambist, Moda, est façonné pour les beaux jours. Retour sur une interview express à Bruxelles, aussi lumineuse que l’artiste.

Dix ans après la sortie de « Headson », Kazy Lambist revient en puissance avec son dernier album Moda sorti en juin 2024, gorgé de soleil et d’influences puisées dans ses nombreux voyages. Depuis le décollage de sa carrière musicale et la sortie de son premier album 33000 Ft.1(déjà chez Cinq 7, Wagram Music), Kazy Lambist a cumulé plus d’un million trois cent mille auditeurs mensuels sur Spotify, cinq single d’or, un single de platine, remporté le prix du public aux InrockLab en 2015, multiplié les collaborations artistiques ‒ parfois surprenantes ‒ avec notamment Jean-Benoît Dunckel (du groupe Air), le créateur-styliste Jean-Charles de Castelbajac ou le rappeur Tutti Fenomeni. Avec pareille trajectoire, il installe doucement mais sûrement sa musique lumineuse sur la scène électro-pop.

À l’occasion d’un détour par la capitale, le 21 novembre dernier, en prévision de ses premières dates sur sol belge (le 28/11 à l’atelier 210, à Bruxelles et le 7/02 au Reflektor, à Liège), Karoo a pu intercepter l’artiste Montpelliérain entre deux interviews. Trench en cuir noir, foulard bleu ciel et vert noué au cou, Kazy Lambist alias Arthur Durbreucq qui a enchainé les interviews promotionnelles, apparait fendu d’un sourire.

Aérienne ou atmosphérique, sans friction, détendue mais incarnée, autant de qualificatifs qui décrivent une musique traversée d’influences multiples (hip hop, French touch, puis plus récemment seventies et italo-disco) mise au service d’un éternel été. Un style qui a évolué depuis ses débuts à Montpellier infusés d’une électro chimérique façon Bonobo et d’envolées à la Four Tet plus down tempo dans lesquelles il aimait se perdre. Depuis lors, il s’est dirigé vers une musique plus accessible au format « chanson », qui raconte une histoire, notamment avec « Doing Yoga » et « On You ». Le rayonnement de Kazy Lambist est aujourd’hui international avec des concerts à Istanbul, Mexico, Montréal, Barcelone, Varsovie, Berlin, Londres et une tournée tout autour du globe aux côtés de Kid Francescoli, le « parrain » qui lui toujours des bons conseils.

Ça fait dix ans que ta carrière a pris son envol, entre la sortie de « Headson » et ton dernier album Moda : comment ton univers musical a-t-il évolué au fil de ces années ?

« Quand j’ai commencé, j’étais dans ma chambre, à Montpellier. Depuis, j’ai rencontré plein d’autres artistes, j’ai voyagé beaucoup, parce que, finalement, ce projet a permis de toucher des gens dans pleins de pays où je n’aurais pas pensé aller, notamment la Turquie, que je ne connaissais pas du tout, et Rome, où j’ai passé deux ans. Aujourd’hui, ma musique a été un peu plus influencée par toutes ces expériences-là et les collaborations que j’ai faites depuis le début. »

Le souvenir de ses voyages imprègne son dernier long format, qui porte d’ailleurs le nom d’un quartier branché à Istanbul mais signifie aussi « mode » en italien, clin d’œil à la botte que l’on retrouve aussi sur la couverture de l’album, référence aux peintres italiens. C’est que Moda est pensé comme un hymne méditerranéen : le titre « Dünya » ‒ le monde, en turc – dont les accords de guitare électrique se mêlent aux violons turcs, au saxophone de Jowee Omicil, et à la voix douce de Sedef Sebüktekin qui chante dans sa propre langue. Avec « Italian way » dont les clochers baroques résonnent dès les premières secondes sur un fond nostalgique, Kazy Lambist nous emporte de l’autre côté de la frontière italienne, sans le dire. Sur « Moda Disko », ôde voluptueux à l’italo disco, la chanteuse Den Ze chante ses refrains en turc, et c’est l’apogée, la réunion des deux pôles du bassin méditerranéen.

Ce dernier album est, à l’instar de ses autres formats, un disque collaboratif, produit avec Glasses et l’ingénieur du son Ash Workman (qui a aussi travaillé avec Metronomy et Christine & the Queens). Seuls deux titres sont réalisés sans featuring, le très mélancolique et introspectif « Afterfall » et « Somebody to love ».

Comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu collabores ?

« Ce sont des artistes que j’aime bien, des personnalités que je ne connais pas forcément ! Par exemple, j’avais fait une collaboration avec Pongo, qui vient de Lisbonne, que je ne connaissais pas du tout personnellement [ndlr : le titre « Work (feat. Pongo) »]. On l’écoutait à la radio avec des potes, et je me suis dit qu’il faudrait absolument que je contacte cette fille parce qu’elle a vraiment un truc ! Et ça s’est fait à distance, comme l’enregistrement, et on ne s’est rencontré que très tard parce qu’on a joué ensemble après à Paris. Pour Tutti Fenomeni, [ndlr : en featuring sur le titre « Nasty »] c’était différent. On est devenus amis à Rome, et pareil, humainement je l’apprécie, il me faisait marrer, c’est vraiment un personnage très atypique et donc c’était une évidence qu’il y avait quelque chose à faire ensemble. Mais ça dépend, « Headson », par exemple, c’était une amie de lycée, El Cielo. Toutes les collaborations sont différentes. Quand j’ai fait une collaboration avec Jean-Benoît Dunkel de Air, là c’est parce que moi j’étais fan, vraiment, il faisait partie de mes influences depuis longtemps donc c’était un rêve et comme j’ai eu l’occasion de le rencontrer quelques fois à Paris, à un moment donné je me suis demandé si ce serait possible et puis il a accepté. J’ai besoin d’admirer une personne pour avoir envie que le son existe et de mettre en valeur ce que j’aime chez la personne avec le morceau. Et c’est vraiment une motivation, ça m'aide à terminer les sons. »

Si tu devais proposer là, maintenant, une collaboration avec un(e) artiste que tu admires vraiment, ce serait qui ?

« Je sais pas à quel point ce serait fou (rires) mais... je pense a plein d’artistes, qui ne sont pas forcément proches de mon univers… La dernière fois, je disais Charlotte Gainsbourg… Mais ça pourrait, en fait. Il y a un truc qui pourrait coller un petit peu. Je ne sais pas si c’est faisable, elle ne fait pas beaucoup de featurings. Mais il faudrait tenter... »

Ce qui est intéressant dans ton travail, c’est que tu parviens à ne pas dénaturer l’esprit « Kazy Lambist ». Comment fais-tu pour mêler autant de personnalités à la tienne sans perdre ta marque de fabrique ?

« Je ne m’en rends pas forcément compte parce que j’ai toujours l’impression de faire des choses un peu différentes. J’essaie de faire en sorte que le morceau me plaise. »

Ses collaborations se font au gré des rencontres, autour de ses aspirations, comme notamment le morceau « Interlude », deuxième titre de Moda, qui s’ouvre sur la voix feutrée de l’actrice Fotini Peluso, scandant un texte en italien d’abord a capella, ensuite sur des chœurs cristallins qui créent un interlude terriblement doux et rempli d’emphase.

« Pour « Interlude », c’était pas du tout évident parce que Fotini Peluso n’avait jamais fait ça, donc quand je le lui ai proposé, en fait, elle a été super stressée. En tant qu’actrice, je l’avais trouvée super, il y avait un truc que j’avais bien aimé humainement chez elle. Je me souviens, je l’avais vue dans une série et je m’étais dit qu’il faudrait qu’on fasse un truc avec elle. J’aimais bien l’énergie qu’elle a. Et donc, lui faire lire un poème de Pasolini2. Comme j’étais à Rome où Pasolini était très présent, ça s’est fait, et j’étais aussi très content de ça. En fait, avec les gens que j’aime bien, je me dis que j’aimerais qu’on construise un truc ensemble, qu’on laisse quelque chose. »

Et les mettre en lumière aussi ?

« Oui aussi ! Et de dévoiler une facette qu’elle n’avait pas forcément montré avant. D’ailleurs c’est marrant parce qu’après ca, elle est allée lire de la poésie à Paris, dans des salons de poésie, parce que du coup elle s’est dit qu’elle pouvait le faire. »

Pour la répartition, comme tout le reste, l’artiste confirme : ça se fait un peu naturellement. Il a tendance à travailler au fur et à mesure, en restant ouvert à tout. Pour son featuring avec Pogo, il n’avait pas d’idée préconçue et lui a laissé la liberté de proposer des aménagements, pour finalement choisir de réadapter tout le morceau autour de sa voix. Pareil pour le titre « Dünya », sur lequel Sede Sebüktekin chante principalement (et avec laquelle il va bientôt sortir une live session, au passage). Mais ça dépend des morceaux, il peut au contraire chanter et se limiter à un seul moment où l’autre artiste est vraiment mis en valeur. Pour son processus créatif, il l’avoue aussi : «  je suis pas très bon pour faire des stratégies à l’avance de ce que je vais faire. » Le cheminement est spontané, les paroles rarement écrites en amont, tout se décide sur le moment, au fur et à mesure.

Ta musique apporte énormément de soleil dans le quotidien, surtout ici en Belgique où on en a besoin, elle dégage une légèreté assumée mais aussi une certaine profondeur dans les thématiques abordées. Comment fais-tu pour naviguer entre ces deux pôles ?

« Quand tu parles de profondeur, c’est intéressant, parce que la musique pour moi c’est un terrain de légèreté. J’ai toujours eu du mal à me poser pour écrire des textes dont je suis content, c’est pour ça que je n’écris pas en français d’ailleurs. C’est vraiment un espace, comme tu dis, où j’essaye de ramener du soleil et je ne veux pas me prendre la tête à faire quelque chose de trop sérieux non plus. »

Ou politique ?

« Non, ça ne me viendrait pas à l’idée, alors que pourtant j’adore la politique. J’avais fait une prépa de journalisme et si je n’étais pas devenu musicien, c’est une direction que j’aurais pu envisager. Mais pour moi, ce sont deux choses totalement différentes : la musique est vraiment un espace où je peux m’évader complètement du quotidien et aller chercher quelque chose de l’ordre des sensations, des émotions, qui ne peuvent pas être liées à l’élection de Trump, sinon moi je me perds là dedans. Enfin je prends l’élection de Trump comme exemple, mais ça peut être n’importe quoi (rires). »

On te décrit partout comme une figure montante de la pop : comment vis-tu avec ces attentes-là par rapport à ton travail, c’est un boost ou tu t’en détaches complètement ?

« Je ne sais pas si c’est un boost, en fait. Ça ne me dérange pas, mais parfois ça peut mettre un peu de pression. Parce que depuis le début du projet, je n’attends pas grand-chose : quand j’ai commencé, j’étais déjà hyper surpris et content lorsque j’ai vu qu’un son passait à la radio. Pour moi c’était fou. Donc j’aime bien me laisser surprendre… sinon il y a le risque d’être déçu. Après, mon manager me dit : « dans trois ans des stades » (rires)… Tu me dis Charlotte Gainsbourg, et il faut que je l’entende parce que tout seul, j’ai tendance à me mettre des limites. J’ai parfois des difficultés à avoir confiance, mais ça fait partie de mon truc aussi, j’ai toujours été comme ça. »

Si tu devais choisir ton objet culturel préféré, lequel serait-ce et pourquoi ?

« Il y en a tellement, forcément… Le Mépris de Jean-Luc Godard me suit dans les tons, dans la couleur, dans l’ambiance, dans le fait qu’il y ait justement cette tension. Je ne dirais pas que c’est mon film préféré, mais il y a quelque chose, bizarrement, qui ressemble à une légèreté que j’aime dans l’art. »

Si les thèmes qui traversent la musique de Kazy Lambist sont souvent volontairement légers, avec « Doing Yoga » ou « On You », on retrouve clairement des références à l’amour qui se termine dans Moda, notamment avec « Lost » qui évoque l’érosion du lien amoureux ou « Afterfall » qui fait écho au dialogue intérieur d’après-rupture (« I need to be fixed and i can make it I’m sure »).

Quel serait un rêve ou un projet musical qui ne s’est pas encore réalisé, que tu voudrais explorer ?

« J’aimerais faire la musique d’un film, c’est sûr. C’est peut-être pour ça aussi que j’ai choisi Le Mépris. D’ailleurs, la musique du Mépris est de George Delerue, et c’est super beau. Une BO de film qui m’a beaucoup inspirée, c’est celle qu’avait fait Air pour Virgin Suicide. Très très belle BO qui m’a aussi fait rêver. Sofia Coppola a souvent de bons goûts. Donc un petit rêve, ce serait de faire un BO pour Sofia Coppola. Charlotte Gainsbourg et Sofia Coppola, c’est les deux prochaines cibles (rires). »

On fait le vœu que ses bons amis de Montpellier, son « noyau dur » comme il dit, qui l’avaient déjà poussé à contacter Radio Nova, interviennent pour que ses projets futurs avec Charlotte Gainsbourg et Sofia Coppola se concrétisent très vite. D’ici-là on écoute ses derniers titres sans Moda-ration, ainsi que le titre « Asking for More » de Napkey sorti le 22 novembre dernier, sur lequel il intervient comme invité. Sans surprise, il avait rencontré l’ingé son du duo français, Perceval Carré, en soirée de l’autre côté d’une table de babyfoot. Il a annoncé mi-décembre la sortie d’un remix du titre « It’s over » de Poppy Fusée, qu’on se réjouit de découvrir.

Et, sans s’en remettre au destin, Kazy Lambist sera de passage à la cité ardente, le 7 février prochain au Reflektor et à l’Olympia le 28 mai 2025.

Même rédacteur·ice :

MODA

de Kazy Lambist
Label Cinq7, Wagram Music, 2024
41 minutes

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