La Barbara
Voyez
Voyez
Barbaracomme Elias Preszow l’a vu. Une chronique très personnelle d’un film dont le sujet est la réalisation d’un biopic sur la chanteuse Barbara, sorti en salles le 6 septembre dernier en Belgique.
Bon, elle avait le talent, d’accord : le piano, la voix, des amis, un charme ! Tout pour elle. Et puis le malheur aussi, de son enfance, ça laisse des marques, un timbre, une signature : la guerre, l’inceste. Avec ça, on blague plus, on pleure dans les chaumières, sur les péniches, le long des quais de France. C’est sérieux, c’est ultime, déchirant. Alors quand elle te chante ses souvenirs du bout des lèvres, qu’elle te murmure sa peine du bout des doigts, qu’elle te caresse la solitude, c’est obligé que tu flanches, tu sens ton âme vibrer, de la tête au pieds, les poils qui se hérissent… Qu’est-ce tu veux, on en deviendrait presque humain, non ?
De mère russe, de père alsacien, la petite Serf naît en l’an de grâce 1930, un 9 juin, pour être exact, dans le quartier des Batignolles… C’est pas une publicité, c’est du nanan comme disait l’autre : nonne, pute, ou chanteuse… Il n’y avait plus qu’à choisir sa voie vers liberté, zou ! ça va tout casser, c’est certain, mais il va falloir se battre : travailler, persévérer. Comme Amalric, avec ses valises sous les yeux, et ses bagues aux doigts, parvenant pas à s’empêcher d’écrire, de réécrire son scénario : dans le biopic, qu’ils viennent de sortir au cinéma, avec son ex’ époustouflante. Ah ça, pour s’en sortir, ils s’en sortent, eux, mon coco !
C’est joli comme ils se la font, la belle : d’une existence, ils te tirent une mythologie prête à l’emploi, y a plus qu’à déguster pendant que c’est chaud. Ils ont mis le paquet, sans lésiner sur les moyens, grand dieu, c’est du joli, du luxe, un tour de passe-passe, mon vieux, tu restes dans les cordes avec mal au foie ! Les effets, les archives, les clins d’œil, comme si Maurice Béjart donnait des cours particuliers à Jeanne Balibar pour réussir son coup, et intime avec ça, sobre, juste, équilibré : chapeau bas, chapeau pointu, turlututu ! On a les larmes aux yeux, un sourire tendre, complice, chaleureux, amoureux. C’est pas pour critiquer, loin de moi, qu’on s’entende, j’respecte, j’apprécie. Ça me touche, c’est même pour ça que j’en parle. Les contrechamps sur l’équipe de tournage, par exemple, on se sent vraiment de la famille : spectateur, mon frère, avec le perchiste, l’opérateur, et même le producteur, des copains, tous intermittents, on se projette ! Tout le monde se tient par la main et entame un grand rondeau imaginaire avant de s’embrasser, les souffles s’entremêlent, les rôles s’échangent, vogue la galère…
Les sept balles du ticket d’entrée du Majestic , à Bastille, j’suis prêt à les claquer sans ciller, j’te jure, tant qu’ils me laissent la réduc’ moins de vingt-six ans, j’valide… Mais parfois, on se demande à quoi on joue, pour qui on se laisse prendre, non ? J’sais pas, en fait, peut-être j’suis fou! C’est avec le décor, il y a un truc, un stress. Quelque chose qui tourne pas rond, c’est compliqué à cerner, comme trompe-l’œil, bizarre, comment c’est en train de virer, ce pays. Une fois j’étais au marché d’Aligre, « un village au cœur de Paris » : pour faire vite, c’est comme le jeu de Balle, avec des légumes, et encore plus de bobos, c’est hyper-sympa. Un genre de bon coin à ciel ouvert, mais en plus authentique, même si y a plus beaucoup de tabacs, et de plus en plus de magasins genres « couteaux japonais ». Là, une vielle femme, disons une petite dame d’un certain âge, commence à me causer : elle a connu Barbara, personnellement, elle est juive pareille. (Pour moi, je sais pas comment elle a deviné.) Elle balance que son frère aussi c’était un fou, un drôle de zigue, le frangin à la Monique, comme elle l’appelle, sa chanteuse de minuit, la diva de l’Écluse… Bon, moi j’vous répète, j’en sais fichtre rien, et ce dimanche, j’étais pas dans mon assiette… Elles s’étaient connues à l’époque où Barbara vivait dans le quartier de la rue d’Avron… quartier Charonne plutôt, rue de Vitruve, dans le XX e , avec sa mère, et tout le tralala, c’était pas évident. Et faire jouer la transparence / au fond d’une cour aux murs gris / où l’aube aurait enfin sa chance, est-il inscrit, sur la plaque commémorative, au numéro 50, sur la façade de l’immeuble.
C’est qu’elle avait traversé la misère, avant la célébrité. Tu sautes par-dessus, c’est comme pour le reste, si t’as pas d’endurance t’es cuit : faut se défendre. Comme son petit-fils à la petite dame, un religieux, avec l’habit, et la coupe de cheveux caractéristique sous la kippa, une fois il a été agressé dans le métro, par des shwartz. Des blacks, des renois, même si j’parle pas yiddish, j’avais pigé, comme vous. Revenons à la dame en noir, car enfin, ça donne de belles chansons, l’Aigle noir , Göttingen , Nantes , ce sont des bijoux, de vrais diamants. De telle sorte que, dans le film, forcément, quand elle se met au piano, la Balibar – Brigitte, le personnage – c’est dans le resto de route : elle « travaille un peu », avec des fausses notes, comme pour du vrai, et puis qu’elle chante, tu trembles de tout ton corps, pendant que son accessoiriste, « son accès au soir, son excès du soir », il la dessine sur un coin de la nappe où ils ont mangé du bortsch tous les deux ; et qu’après l’accessoiriste, tatoué, musclé, il lui fait l’amour, avant d’être éjecté du pieu entre deux ronflements : tellement que c’est beau, t’as envie d’y croire à fond…
Du reste, moi je suis un fan, comme tout le monde, j’ai pas à me justifier, y a pas de mal… Pourtant, j’arrête pas de penser qu’il faut pas déconner, et prendre les gens pour des idiots, et les vessies pour des lanternes, etc, en boucle… Un chat angora et un chat persan, ça n’a rien à voir, même si tout le monde est gris à la fin! Un chat de gouttière, ça se repère tout de suite, c’est nomade, ça vous file entre les pattes, merci bonsoir, y a pas lieu de se prosterner, si ? On rêve, on rêve, pendant que les gens crèvent dans les règles, gentiment, en Bosnie, en 1995-1996, en Syrie, aujourd’hui. Pourquoi je vous parle de ça ? Ça reste du cinéma, les potes ! Barbara, elle s’achète sa planque à elle, à Précy-sur-Marne, à 30 kil’ de Paname, une ancienne ferme, « pour l’image », pour dire qu’elle a son chez-soi, que les gens se rassurent, elle le mérite, c’est vers les années soixante-treize : la Grange aux loups. Avec ses chiens, elle habite ; elle jardine ; elle écrit ; elle envoie des fax ; elle tue le temps pendant que les hommes se font la guerre. Et puis elle meurt un 24 novembre 1997. Un jour je lirai ses mémoires Il était un piano noir… promis. Et je regretterai peut-être d’avoir, par ce film, évoqué son fantôme avec un tel manque d’humilité.
J’espère avoir tort, sincèrement, apprendre de mes erreurs, amen. Attendons que la mousse redescende, comme le brouillard au matin tôt, à l’aube. Plus tard, quand tout sera fini, en pensant à ma mamy, Edna, aux noix fraîches de septembre, à mon enfance aux doigts de roses, et puis à mon autre grand-mère, Lili, à jamais inconnue, hélas.