Issu d’un atelier participatif proposé par Marie Avril et Lénaïc Brulé à des femmes sans-abri ou en grande précarité de Bruxelles, en partenariat avec cinq associations du secteur 1 entre septembre et décembre 2022, la Cité des Dames s’est écrit sur base d’improvisations et de récits de leurs existences.
Elles s’appellent Aïcha, Barissa, Nethy, Isabelle, Hanane, Maria, Jeannette, Claire et Elvira.
Elles viennent du Togo, du Maroc, de Belgique, du Cameroun, du Congo et du Portugal.
Dans d’autres vies, elles furent comptable, aide-soignante, institutrice, coach, agente immobilière, fille, sœur, mère, cousine, épouse, compagne, camarade, amie.
Elles connurent la rue, la prison, la psychiatrie, les violences conjugales, la toxicomanie, les centres d’urgence et d’hébergement, le racisme, l’invisibilité, l’expulsion et la précarité.
Certaines en sont sorties.
D’autres y sont encore.
Toutes sont là pour raconter un morceau d’elles-mêmes, de leur parcours, de leurs errances, de leurs expériences et de ce qu’elles en ont retiré.
Avec courage, détermination et douceur, avec humour et franchise, elles disent ce qu’elles ont traversé.
Elles revendiquent, questionnent, interpellent.
Par petites touches, elles composent le tableau d’un monde inégal ; entre le rire et les larmes, elles dépeignent la violence du système à l’égard des plus vulnérables.
À travers des scènes de groupe ou par des moments de lecture personnelle à cahier ouvert face au public, ces dames de tous âges livrent un quotidien fait de débrouille et d’entraide, de lutte solitaire et de gestes solidaires.
Tout un art de la résistance, de la patience lucide, de l’insurrection ordinaire pour se maintenir à flot, dans ce qu’il a de plus vivant 2 .
Un plateau, neuf chaises, deux tables.
Et le théâtre se peuple de leurs voix qui témoignent, de leurs visages qui parlent d’eux-mêmes, de leurs mots qui libèrent des blocs de réalité.
Que cela soit par l’évocation de la difficulté à trouver un appartement lorsqu’on a la peau trop foncée et un accent pas d’ici ; par le labyrinthe administratif et les obstacles bureaucratiques qu’il faut surmonter pour obtenir un titre de séjour : nous sommes trimballés avec elles entre coups de téléphone, rendez-vous, démarches infinies, baladés de pauses en fermetures des bureaux où il faut sans cesse prouver, argumenter, se justifier…
Pour exorciser la douleur, pour continuer à rêver, à penser, pour se défendre de l’indifférence sociale, et croire en un avenir possible, ces femmes inventent un poème qui mêle toutes leurs langues, le portugais, l’arabe, le lingala, le français, l’allemand, et font entendre le souffle de leur commune humanité.
Dans cette pièce, on s’interroge avec elles : que veut dire « sans-abri » ? Qu’est-ce que cela signifie qu’en 2023 il y en a qui vivent et dorment dans la rue ? Comment se fait-il que certaines existences se confondent avec la couleur du trottoir et qu’il n’y a personne pour les remarquer ?
Alors dans le bord de scène qui suit la représentation, lorsqu’un spectateur en passe de terminer ses études d’éducateur spécialisé pose la question de ce qu’il faudrait changer en priorité, on ne peut que méditer sur la réponse que lui apporte l’une d’entre elles :
Une leçon de dignité et de justesse.