La révélation des taiseux
À l’heure du débat sur le pacte d’excellence et l’allongement du tronc commun, le titre du dernier roman d’Isabelle Pandazopoulos fait figure de mantra : Demandez-leur la lune .
Avec Demandez-leur la lune , Isabelle Pandazopoulos nous livre une œuvre de fiction qui pourrait servir de manifeste en faveur du nivellement par le haut. À travers le combat d’une jeune professeure de français passionnée et le portrait de ses quatre élèves, elle pousse un cri d’espoir sur le pouvoir de l’école et la force des mots.
Devenue professeure de français, Isabelle Pandazopoulos connaît bien le monde de l’école et, plus particulièrement, celui des élèves en difficultés depuis qu’elle s’est spécialisée pour travailler auprès d’adolescents en grande difficultés puis d’élèves en situation de handicap mental. C’est vraisemblablement de son expérience qu’elle a tiré la trame de ce dernier livre dans lequel elle confronte quatre adolescents qui viennent de se voir refuser un passage en seconde générale.
« Ça vous dérange ?
Je vous dérange… ?
Dérangée… déranger, c’est peut-être par là que je dois commencer, par le sens des mots.
(…)
… Déranger, c’est donc ‘mettre en désordre, déplacer de son emplacement assigné’. C’est donc lorsque quelque chose – ou quelqu’un – n’est pas à sa place. »
Lilou, Samantha, Bastien, Farouk. Quatre adolescents. Quatre histoires. Entre ceux-là, beaucoup de différences. Ils ne viennent pas du même milieu, ils n’ont pas le même bagage, ne traînent pas les mêmes casseroles, ne se destinent pas au même avenir. Et pourtant, ils se retrouvent tous pour une heure de « remise à niveau » dans le cours d’Agathe Fortin, professeure de français mutée dans un coin perdu de France depuis Paris. Dans ce cours pourtant, point de grammaire, de dictée ou de questionnaire de lecture, l’enseignante concentre leurs efforts pour les aider à trouver leur voix. Celle qui les aidera à trouver leur voie. À force d’exercices, elle les pousse à se dépasser pour faire ressortir du profond d’eux-mêmes les mots qui délient les chaînes. Très vite, l’enseignante se retrouve pourtant confrontée aux inquiétudes non seulement des parents d’élèves, mais aussi du directeur qui ne comprend pas l’utilité de sa méthode.
« - D’où vient l’inquiétude de nos parents d’élèves ? Vous ne savez pas ? Eh bien, je vais vous le dire, moi, elle vient de VOS méthodes soi-disant modernes. Ce qu’il leur faut, à nos élèves qui se destinent à des métiers difficiles, c’est du concret, de l’utile, des choses qu’ils pourront mettre en application dans la vie réelle… Ce que vous leur donnez à faire, les livres que vous leur donnez à lire…
- Quoi ?
Bastien respire, elle va se défendre…
- Vous allez trop loin, monsieur Toumalain, les livres que je conseille, le travail que je leur donne, c’est pour qu’ils aient des armes, des mots, pour penser, pour parler, se dire… ce qui compte… et pour se battre aussi contre tous les abus !
- Ah là là… les grandes phrases tout de suite…
- Absolument, de grandes phrases, de belles idées, un idéal… c’est pour ça que je suis devenue prof ! »
Et de grandes phrases, de belles idées, le livre en fait référence ! De celles exprimées par Bérénice et Cyrano à celles écrites par Wajdi Mouawad. Agathe Fortin fera voltiger ses élèves aux confins des sphères les plus élitistes de la littérature française, transformant leurs chaînes en ailes. Donnant tour à tour la parole à chacun de ses protagonistes, Isabelle Pandazopoulos révèle peu à peu leur histoire. Les raisons pour lesquelles la jeune Lilou et ses parents se méfient tant des mots, conscients de leur force de persuasion. Le conflit qui oppose Bastien à ses parents qui l’imaginent déjà reprendre l’entreprise familiale et ne voient pas l’utilité de l’instruction, particulièrement pour ce gamin qui « n’est pas fait pour l’école ». La face cachée de la belle Samantha qui, sous une apparence futile, a déjà perdu une grande partie de son insouciance. Enfin, le parcours de Farouk, immigré turc, qui se lance à corps perdu dans le cours sans savoir quel sera son avenir en France. Sur un sujet éculé, l’auteure parvient à livrer un récit réussi qui tiendra en haleine les lecteurs adolescents mais aussi plus âgés.