critique &
création culturelle

L'Amour ouf de Gilles Lelouche

L'Amour bof

Cinq ans après Le Grand Bain, le réalisateur Gilles Lellouche a fait son retour à Cannes avec L’Amour ouf. Adèle Exarchopoulos et François Civil, en couple devant comme derrière la caméra, passent de la tendresse à la rage dans un drame romantique dont la recherche excessive d’intensité étouffe l’émotion.

Gilles Lellouche filme l’histoire d’amour de deux adolescents des années quatre-vingts : Clotaire (Malik Frikah) et Jackie (Mallory Wanecque). Alors qu’ils semblent plus heureux que jamais, l’environnement social du petit voyou le transforme en criminel. Après douze ans derrière les barreaux, Clotaire (François Civil) libéré retrouve Jackie (Adèle Exarchopoulos), enfermée dans un mariage loin de leurs rêves d’enfants. Ce beau synopsis sur le papier apparaît comme un impressionnant fourre-tout, un condensé de bonnes et moins bonnes idées dont on retient tout de même certaines jolies scènes.

La typographie rétro du générique d’introduction nous indique immédiatement la volonté du réalisateur de reprendre les codes du cinéma de sa jeunesse. Malheureusement, l’hommage tourne plusieurs fois au cliché, à l’image de sa bande originale « compil’ eighties », le tout pour essayer de superposer les ambiances de Drive et de La Boum. Benoît Poelvoorde incarne par exemple l’archétype du chef de gang déjà vu cent fois et dont on peut deviner la moitié des répliques. De la même manière, le jeune couple, auquel on s’attache sincèrement, est vite caricaturé par une dizaine de plans qui utilise l’effet visuel démodé du zoom pour insister lourdement sur un regard ou un baiser.

Dans une alternance incessante entre amour et sang, Guillaume Lellouche trouve encore de la place pour insérer quelques vannes, certes rigolotes, de Raphaël Quenard et Jean-Pascal Zadi. Mais l’effet de surprise tombe à l’eau : censées adoucir l’ultra-violence du film, elles ne font que sortir le spectateur de l’action. On voit juste du sang, puis une vanne, puis à nouveau du sang. Cet amour fou, les cris et les larmes qu’il provoque, finissent donc par manquer de crédibilité.

Cependant, il faut reconnaître la puissance de certains passages dans cet enchaînement excessif de sensations fortes. Pour essayer d’oublier Clotaire, Jackie s’est mariée au plus arrogant des patrons, interprété par Vincent Lacoste. La défaillance croissante de la relation est intelligemment racontée, jusqu’à une scène de dispute dans un restaurant, marquante par ses répliques et ses mouvements de caméra. De l’autre côté, on est impressionné par les moyens actuels du cinéma français qui peut mettre en scène des fusillades ou des attaques de fourgon sans rien avoir à envier à Hollywood, L’Amour ouf étant le film français le plus cher de 2024 après Le Comte de Monte-Cristo.

© Cédric Bertrand

La crédibilité de ce fil rouge qui entoure passion et brutalité est sauvée de peu par la prestance de François Civil. Ce rôle testostéroné de bad boy au crâne rasé lui va très bien. On croit à ses accès de colère et à ses larmes, malgré la construction du personnage qui hésite entre dénoncer le déterminisme social, liant précarité et criminalité, et applaudir trop facilement le libre arbitre de Clotaire. Notons aussi le talent prometteur de Mallory Wanecque et Malik Frikah, le jeune duo qui porte avec éclat presque la moitié du long-métrage.

En un mot, la qualité des acteurs et actrices nous fait cruellement ressentir que cela aurait pu être mieux. Quelques mois avant Cannes, Gilles Lellouche annonçait aux médias que son film allait durer plus de trois heures. Cette impression de surcharge scénaristique découle peut-être du fait que L’Amour ouf dure finalement 2h46. C’est une déclaration d’amour si forte, aux thrillers et aux romances, qu’on peine à suivre son auteur.

L’Amour ouf

Écrit et réalisé par Gilles Lellouche
Avec Adèle Exarchopoulos, François Civil, Vincent Lacoste, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde
France, 2024
166 minutes

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