critique &
création culturelle

L'Enclos de l'éléphant

Une intimité piétinée

© Bartolomeo La Punzina

Du 5 au 21 novembre, se joue au Théâtre des Riches Claires la pièce du dramaturge Étienne Lepage, L’Enclos de l’éléphant. Dans cette première mise en scène du collectif Paul Pébroc, la question des limites du consentement est explorée à travers une interaction troublante entre deux inconnus.

Alexis vit seul dans une maison qui sert de décor à la pièce : une table basse, un cadre suspendu au mur, une plante et une radio diffusant des affirmations positives sur un musique relaxante. L’espace, visuellement lisible pour le spectateur, traduit une intimité préservée, encore intacte au début de la représentation. Une musique entraînante démarre et Alexis, comme dans un rituel pour bien commencer sa journée, se met à danser, laissant les affirmations s’estomper dans l'air. Il s’installe ensuite à la table basse et sort un jeu : Docteur Maboule. Ce moment de calme est soudain interrompu par un passant, Paul, qui l’interpelle à sa fenêtre pour lui demander s’il peut l’accueillir un instant chez lui, prétextant qu’une tempête va bientôt éclater et qu’il n’a pas de parapluie.

Tout au long de L’Enclos de l’éléphant, Paul pousse son hôte à dépasser ses propres limites en ne cessant jamais de parler. Ce flux constant de mots devient une forme de monologue, dans lequel Paul prétend ne pas vouloir déranger alors qu’il englobe tout sur son passage. L’intimité d’Alexis si bien conservée au début de la pièce se retrouve peu à peu engloutie par les mots de cet inconnu.

© Bartolomeo La Punzina

Leur échange est rythmé par un écran qui indique au spectateur quand rire ou s’exclamer, ajoutant une touche d’humour cynique à la mise en scène. Une tension constante habite le jeu des deux acteurs : le silence pesant de l’un et le brouhaha incessant de l’autre. Le personnage d’Alexis manquerait-il de profondeur et de nuances ? Même s’il est moins bavard, il aurait été davantage intéressant de lui apporter plus de couleurs, car il subit déjà le jeu de Paul, incarné par Martin Join-Lambert avec justesse dans son caractère envahissant. Il est donc dommage que la relation entre les deux personnages ne gagne pas en complexité : on reste dans une opposition trop marquée, avec deux performances distinctes, ce qui rend la dynamique de jeu un peu trop linéaire.

La question du consentement est sans cesse mise en jeu dans l’Enclos de l’éléphant, par exemple quand Paul demande à Alexis d'enlever son pantalon, créant le malaise chez le spectateur. Un malaise nous renvoie à nos propres limites : à quel moment doit-on dire non ? Étienne Lepage est connu pour ses pièces à l’humour cruel et dérangeant. Avec L’Enclos de l’éléphant, il s’inscrit dans la même veine que le film d’horreur Funny Games de Michael Haneke : une œuvre sans issue où le personnage principal est coincé dans une situation angoissante dont il ne peut en sortir qu’en acceptant son sort. Les demandes de Paul paraissent anodines – « il pleut dehors », « je n’ai pas de parapluie » ; « pouvez-vous m'accueillir un instant » – or, chaque requête en succède une autre : Paul ne cesse d’abuser de la patience et de l’embarras d’Alexis. Sa manière de s’exprimer révèle la puissance de persuasion des mots et la manipulation subtile qu’ils peuvent dissimuler. Leur échange devient une critique de notre société, où il est mal vu de dire non. Par peur de décevoir, on finit, comme Alexis dans l’Enclos de l’éléphant, par devenir esclave des attentes des autres. Le jeu du Docteur Maboule, présenté au début de la pièce, devient un symbole de cette manipulation et de cette emprise. On se demande si Alexis finira par se révolter contre Paul qui joue avec lui comme avec une marionnette.

© Bartolomeo La Punzina

« Depuis le début tu te dis : Mais que veut-il ? Eh bien voilà, maintenant. Je peux bien penser ce que je veux. Qu’est-ce que ça peut te faire ? Je suis dans ta maison depuis une heure. Tu ne vas tout de même pas rien faire, non ? À un moment il faut faire quelque chose. Je suis une merde. Une merde pathétique et puis pouf, rien. Qu’est-ce que tu attends encore ? » (Paul)

Quant à la mise en scène d’Elsa Peters, elle ne va peut-être pas assez à l’essentiel. Les dispositifs médiatiques – radio, écran, lumières – paraissent parfois desservir la pièce, en sollicitant le spectateur alors que la tension dramatique se suffirait à elle-même. La pièce permet toutefois de s’interroger sur notre rapport aux autres et à nous- même en créant une interaction qui trouble le spectateur du début à la fin.

Dans l’Enclos de l’éléphant, le consentement s’inscrit aussi bien dans les mots que dans le nom verbal. Alexis n'a pas cherché à ce que cet inconnu s'immisce chez lui mais n’a pourtant non plus jamais exprimé ne pas vouloir être dérangé. Preuve de la complexité infime de la notion de consentement, les mots n’étant parfois pas le seul indicateur d’un refus, l’état de malaise et le silence sont déjà des signes évidents de contradiction.

L'Enclos de l'éléphant

Collectif Paul Préboc
Texte d'Étienne Lepage
Mise en scène de Elsa Peters
Avec Martin Join-Lambert et Samy Caffonnette

Vu le 07 novembre 2025 au théâtre Les Riches Claires

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