Christophe Sermet met en scène la pièce de Gorki, Les enfants du soleil : une fable sur la naïveté d’un monde qui se meurt et sur la science que l’auteur aimait tant.
Fidèle au théâtre russe dans ce qu’il a de mélancolique et de réaliste, Les enfants du soleil , représenté aux Martyrs, nous embarque dans l’intimité de bourgeois russes à l’aube de la révolution. Le choléra a déjà envahi les rues mais Pavel et son entourage sont trop occupés à refaire le monde et défaire leurs amours. Gorki, qui deviendra l’icône des bolcheviks (dont on dit qu’ils l’auraient assassiné), écrit la pièce après avoir assisté au massacre du dimanche rouge. En ce jour de 1905, le tsar Nicolas II fait exécuter une foule de manifestants, sous les fenêtres de son palais à Saint Pétersbourg. La rupture avec « le peuple » semble alors inévitable.
Avec son adaptation, Christophe Sermet continue d’explorer le théâtre russe qu’il avait déjà embrassé avec Vania ! de Tchekhov. Une oeuvre politique qui ne dit pas son nom, dans laquelle l’auteur, sans apporter de réponses, pose des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour et sur le monde, à travers des personnages complexes qui, sous une apparente oisiveté, sont en quête de sens.
En 1905, Gorki se trouve parmi les grévistes venus pacifiquement réclamer des améliorations au tsar. L’armée fait feu, des centaines de manifestants meurent sous les balles : c’est le dimanche rouge. Cet évènement va habiter l’auteur idéaliste, icône malgré lui des bolcheviks, jusqu’à inspirer son œuvre : Les enfants du soleil .
Dans cette pièce, Gorki dresse le portrait d’une Russie divisée dont les mondes jusqu’ici indifférents l’un à l’autre, sont à deux doigts de la collusion. Il dépeint la bourgeoisie cultivée, délicate et naïve, se prélassant dans l’oisiveté d’une bulle aseptisée. Elle ignore alors tout, du monde qui vacille, du tonnerre qui gronde et de la menace qui approche. Ça m’a presque rappelé Le Rhinocéros de Ionesco.
Christophe Sermet orchestre une mise en scène lumineuse du drame à venir. Un plateau presque dépouillé, pour laisser tout l’espace aux personnages et leurs interactions qui prennent lieu autour d’une table de cuisine comme dans n’importe quel foyer. C’est la couleur qui frappe en premier lieu : du jaune.
Pavel s’est réfugié dans la chimie, il y trouve la cause et l’effet de toutes choses. Pour lui, la science explique tout et est la solution à tout. Dans sa bulle, ce savant fou est imperméable à l’amour de Melania et ne voit pas que sa femme lui échappe, courtisée par son ami Vaguine. Les personnages se livrent, entre doutes et amours insatisfaits. La tension est palpable mais on ne sait pas d’où elle vient. Peut-être est-ce le discours toujours plus catastrophé de Lisa, la sœur de Pavel ou encore la violence du pauvre Iegor, l’assistant du professeur, qui boit et bat sa femme ou encore cette étrange nouvelle servante effrayée par ses maîtres ? La méfiance s’immisce comme un poison au cœur de cette « abbaye de Thélème », ne réalisant que trop tard l’ampleur du choléra qui a envahi les rues.
Dans des échanges dynamiques et acerbes, les personnages incarnent la guerre des mondes mais pas ceux que l’on croit : pas celui des riches et celui des pauvres mais l’ancien et le nouveau. C’est une fable sur la fin, pleine de poésie mélancolique mais également de réalisme.
L’âme russe transcende les enfants du soleil, les enfants de l’espoir et des idées, interprétés de façon si touchante, cynique et vraie par la « famille » choisie par Christophe Sermet dont Yannick Rennier, Claire Bodson et Marie Bos.