Roman de Clément Bondu, Les Étrangers invite le lecteur à cheminer aux côtés de Paul, Marianne et Ismaël dans les souvenirs de leurs vies entremêlées qui refont surface, et leurs présents et futurs emprisonnés dans cette mémoire nostalgique.
En se lançant dans l’écriture d’un roman inspiré d’Ismaël, son ami disparu, Paul voyage dans ses souvenirs. L’occasion pour lui de revivre en pensées sa rencontre avec Marianne, ses années de jeunesse, la poésie d’Ismaël, et ses séjours exotiques au cœur de pays étrangers. Dans sa recherche à la fois fictive et réelle de son ami Ismaël, dans cette quête de sens, ce besoin de cerner sa propre vie dans un parcours de moments épars, Paul finira par chercher un lieu idéal, le Lieu , où il pourrait vivre, écrire, paisiblement.
« Paul releva la tête. D’un seul coup, il se rendit compte avec effarement qu’après tous ces mois passés à essayer de le métamorphoser en personnage de roman, il en avait complètement oublié Ismaël, l’autre, le vrai . Où avait-il pu disparaître, cet idiot ? Et comment est-ce qu’on disparaissait, au juste ? »
Les Étrangers n’est pas de ces romans à l’intrigue serrée en des nœuds de tension, c’est un récit de vie fictif qui, dans ses déroulés narratifs, a souvent l’apparence d’une biographie à la troisième personne. L’essentiel de l’histoire se perçoit par le prisme de la mémoire et de la nostalgie, dans un déroulement à la temporalité éclatée. Si C lément Bondu accorde un point de vue à Marianne et à Ismaël, c’est celui de Paul qui restera proéminent. Paul, le personnage principal, est comme hanté par un passé auquel il n’arriverait pas à donner un sens, par des rencontres, les fantômes de personnes qu’il a connues, en particulier Marianne, son amour de jeunesse, ainsi qu’Ismaël, l’inspiration de son roman en cours d’écriture. Un intérêt pour l’Autre, les autres, qui tranche avec la solitude oppressante dont souffre Paul à l’instant où on le retrouve en début d’ouvrage.
« Et les gens, les gens, tous les gens sur la place, autour, avec leurs vies possibles, et leurs vies derrière eux, et leurs vies en cours , dont l’existence même bouleverse Marianne, qui dans son angoisse n’a pas d’autres choix que de fermer les yeux, poser les deux mains à plat sur la table, ramener à elle sa tasse de café, puis d’une fourchette (comme on le ferait d’une arme blanche) et manger lentement, bouchée après bouchée, en tâchant de recouvrer son calme. »
Flânerie onirique du personnage qui rêve (de) son passé, mais flânerie aussi dans les rues de Paris, Berlin, Tanger, Naples, etc. Clément Bondu aime déambuler stylistiquement dans des descriptions du monde entourant ses personnages. Un style ample, qui s’attarde. Un style parfois tourné sur lui-même, qui recherche la formule, la poésie, dans des architectures, la météo et les banalités quotidiennes. Un enrobage qui parait par moment longuet, des phrases qui s’étalent par le biais d’incises et de parenthèses, mais un ton qui correspond à l’errance de Paul. Les Étrangers ne comporte pas réellement de scènes à proprement parler : ce sont surtout des moments qui s’enchainent dans une narration bien souvent mélancolique, une narration qui se promène.
« Au fond, Paul croit simplement qu’il lui manque de vivre certaines aventures dignes d’être racontées (ce qui est en l’occurrence une idée assez banale, mais pas entièrement dénuée de fondement sur ce qui peut faire l’intérêt et la valeur d’un roman). Encore faut-il penser être en mesure de distinguer dans la masse nébuleuse de la vie ce qui est digne d’être raconté, et ce qui ne l’est pas. Paul est loin d’être aussi sûr de lui. »
Avec Les Étrangers , Clément Bondu signe un roman déroutant : un roman qui chemine hors d’une intrigue à la direction claire, et qui donc peut perdre son lecteur, l‘égarer dans des descriptions à l’utilité peu évidente, dans des flashbacks relatant des parcelles de vies qui ne conduisent à aucune réelle étape suivante. Les Étrangers est une flânerie. Entamer sa lecture, c’est accepter de prendre son temps, de se perdre, de retrouver son chemin, et de se perdre à nouveau.