À la manière d’Ésope, Perrault ou La Fontaine, Maurice Maeterlinck écrit, avec l ’Oiseau bleu et la Nuit des enfants , deux pièces qui interrogent sur les grandes énigmes du monde, en utilisant des animaux qui parlent et des arbres qui font la guerre. À relire ou à découvrir, le registre fantastique s’invite dans ces classiques de la littérature belge des années 1900.
Je me suis rarement penchée sur des pièces de ce genre et j’ai été conquise : les premières pages m’ont quelque peu déstabilisée, mais une fois entrée dans l’engrenage du symboliste Maurice Maeterlinck, je ne pouvais en ressortir. Habituée des courants littéraires plus classiques, ces deux pièces de théâtre féeriques qui donnent la parole aux animaux ont su me toucher. L’Oiseau bleu est le premier volet d’une trilogie sensible et ingénieuse parue au début du XXe siècle, et grâce à laquelle Maeterlinck devint une figure majeure du symbolisme.
L’Oiseau bleu suit sur plusieurs tableaux les aventures de deux enfants, un frère et une sœur, à la recherche d’un oiseau bleu qui porterait la réponse aux maux de l’humanité. À la façon d’un conte fantastique, cette quête est confiée au début de la pièce aux deux protagonistes, Tyltyl et Mytyl, par une fée. Ils seront accompagnés d’éléments personnifiés et rendus vivants tels que la Lumière, le Pain, les Arbres ou les Bonheurs.
La Nuit des enfants publié post-mortem par Frédéric V. G. Maeterlinck, le petit-fils de Maurice Maeterlinck, suit cette première histoire en mettant en scène les petits enfants de Tyltyl. Ceux-ci se voient offrir plusieurs vœux dont ils ne savent pas quoi faire au départ. Ils demandent festins et beaux vêtements, mais de fil en aiguille des personnages fantastiques viennent toquer à leur porte pour leur proposer des souhaits plus nécessaires. Les arbres demandent à ce qu’on ne les exécute plus et les morts des cimetières plus spacieux.
Les thèmes de ces ouvrages peuvent paraître uniques mais font en réalité partie d’un ensemble, un courant de productions artistiques et littéraires auxquels Klimt, Verlaine ou Debussy contribuent : le symbolisme. L’imaginaire et la féérie de l’œuvre de Maeterlinck puise en partie ses inspirations des contes classiques, tels que la Barbe bleue ou le Petit Poucet , et des fables, notamment celles de La Fontaine. On peut clairement le ressentir au travers de la personnification des objets et éléments de la nature, mais aussi par les costumes, châteaux enchantés et autres décors. De cette manière, une représentation au théâtre de ces pièces serait complètement accessible aux plus jeunes.
Simples et sensibles, ces œuvres n’en restent pas moins profondes avec une approche philosophique. Comme dit plus haut, j’avais au départ un peu de difficulté à entrer dans le livre mais après quelques pages j’ai vite compris son intérêt.
Tout en douceur, Maurice Maeterlinck ouvre les yeux du spectateur/lecteur sur ce qui l’entoure, il nous dévoile l’âme des choses pour répondre aux grandes questions de la vie en laissant ouvert le champ des interprétations. Pour ce faire, il nous guide au travers des yeux des enfants qui, curieux et innocents, posent des questions sur tout. Pourquoi les gens pleurent ? Comment maman a eu le bébé ? C’est quoi la mort ? Comment tu fais pour ne pas avoir peur ?
Les scènes sont divisées en tableaux aux décors plus imaginatifs les uns que les autres. Mon préféré est le neuvième, le « Jardin des Bonheurs » dans l’Oiseau bleu.
Au cours de leur quête de l’oiseau bleu, les deux enfants passent par ce jardin des bonheurs. On y rencontre dans un premier temps les Gros Bonheurs des hommes, ceux qu’on pense majeurs, tels que le Bonheur-d’être-riche ou le Bonheur-de-manger-quand-on-a-plus-faim. Ils tentent d’attirer les enfants alors retenus par leur amie la Lumière, ils les séduisent pour les garder auprès d’eux. Mais quelques lignes après, le rideau se lève sur un somptueux jardin cachant les Petits Bonheurs, ceux qu’on ne soupçonne pas, ceux qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas. Il y a le Bonheur-de-se-bien-porter, la Joie-de-voir-ce-qui-est-beau ou, la plus importante du tableau, la Joie-sans-égale-de-l’amour-maternel.
On trouve sur la Terre beaucoup plus de Bonheurs qu’on ne croit ; mais la plupart des Hommes ne les découvrent point…
Une fois rentré chez toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement… Et puis, à la fin d’un beau jour, tu sauras les encourager d’un sourire, les remercier d’un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu’ils peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse…
Ce passage de la pièce illustre bien cette dualité du récit entre conte pour enfants et personnifications à visée philosophique. Ici, Maeterlinck reprend la pensée épicurienne selon laquelle le bonheur passe par la satisfaction des désirs et l’oppose à une vision plus atténuée des bonheurs qui résideraient déjà en nous, autour de nous.
L’auteur nous parle aussi, par les yeux des enfants et donc volontairement naïvement, du destin, de la nature, de la mort, des songes ou des peurs à la manière du Jardin des Bonheurs. On y trouve toujours un humour subtil et la féérie est poussée au point que même le travail des didascalies est impressionnant. Elles sont parfois très longues, précises et souvent à la limite du lyrisme :
Les salles immenses du palais d’Azur, où attendent les enfants qui vont naître. — Infinies perspectives de colonnes de saphir soutenant des voûtes de turquoise. Tout ici, depuis la lumière et les dalles de lapis-lazuli jusqu’aux pulvérulences du fond où se perdent les derniers arceaux, jusqu’aux moindres objets, est d’un bleu irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les socles de colonnes, les clefs de voûte, quelques sièges, quelques bancs circulaires sont de marbre blanc ou d’albâtre.
À l’aube des grandes guerres, ces deux ouvrages incarnent une vision du monde moderne pleine d’espoir en la vie et en l’humanité. C’est un voyage intérieur initié par l’auteur, deux récits philosophiques universels qui savent toucher petits et grands en dévoilant les secrets de la vie et de la Terre. L’Oiseau bleu va propulser Maurice Maeterlinck au devant de la scène théâtrale et lui apporter un succès international. Dans la tranquillité d’une fin de vie marquée par l’amour, le succès mais aussi les deux guerres, le dramaturge écrit la Nuit des enfants et la boucle se referme quand, soixante-quinze ans plus tard, son petit-fils déniche cette suite sensible et poétique et la publie.
Deux lectures touchantes pour apprendre à vivre et à voir dans l’âme des choses. Une nouvelle perception de la réalité qui se veut reconnaissante de la Nature, de Dieu ou du Destin, peu importe comment on l’appelle et où Il se trouve.