Mustang
À l'approche de l'été, ce sont les vieux souvenirs de jeunesse qui nous prennent parfois à l'improviste : les amours de vacances, les premiers baisers à la plage, les jeux de séduction et bien d'autres. Avec son premier long métrage Mustang (2015), Gamze Ergüven a réussi à nous faire revivre l'ardeur et l'enthousiasme de ce bel âge.
Il y a de ces films qui vous plongent dans votre passé, et pour ceux qui ont une double nationalité comme moi, vous ramènent dans le pays d'origine de leurs ancêtres. Mustang a eu le mérite de me transporter durant quelques heures dans la Turquie d'autrefois, où la jeunesse pouvait encore espérer un monde meilleur. Mais les événements tragiques de l'histoire, des juntes militaires aux mouvements de protestation de la place Taksim en 2013, ont réduit presque à néant toute espérance pour une société meilleure. Si le film de Gamze Ergüven n'est pas considéré comme engagé ou politique, il reste toutefois une sorte de porte-voix des jeunes et un manifeste de la jouissance de vivre.
C'est l'histoire de cinq soeurs (Nur, Selma, Ece, Sonay et la dernière Lale) vivant dans un village au nord de la Turquie, qui, à la sortie de l'école, vont rejoindre quelques camarades de classe pour jouer à la plage. Dès le début, la réalisatrice pose sa caméra sur ces jeunes filles dans une scène où la frivolité mêlée aux plaisirs de la camaraderie marqueront, à mon sens, l'esprit des spectateurs. Mais ce moment doux et idyllique est écourté lorsque le patriarche de la famille, l'oncle Erol, véritable figure d'autorité, apprend le scandale que ses nièces ont suscité dans le voisinage en « touchant la nuque des garçons » lors de jeux aquatiques. C'est le début de la séquestration et de l'emprisonnement dans la maison familiale tenue par la grand-mère, autre figure d'autorité reproduisant au féminin le patriarcat de cette société turque. Et comme si ce n'était pas assez, les cinq filles seront plus tard promises à de futurs mariages arrangés.
Ce qui m'a surtout plu dans Mustang, c'est le choix de la réalisatrice de ne pas tomber dans une position manichéenne qui opposerait religieux et progressistes. Avec Gamze Ergüven, nous sommes loin de la caricature. Au contraire, le message du film est clair et très innovant : la question du corps et de la sexualité dans une société turque aux traditions bien présentes. La sensualité débordante de ces jeunes filles en dérange plus d'un dans ce petit village. Les mentalités ne semblent pas encore prêtes à accepter cette modernité des moeurs. Et ce sont les cinq soeurs qui payeront cher les conséquences de cette incompréhension générale. Comme on l'a dit plus haut, elles seront enfermées, comme des oiseaux en cage, pour être finalement une à une données au plus offrant. Si cette société cherche à masquer le corps féminin, elle fait apparaître une perversité enfouie chez l'homme, dépossédant ces filles de leur chair et de leur âme. D'objets de fantasme, elles deviennent objet tout court. Cette question de sexisme et de mal-être des jeunes est également traitée dans un autre teen-movie : Virgin Suicide (1999) de Sofia Coppola, dont Gamze Ergüven s’est peut-être inspirée.
Film 100 % féministe ? Forcément, puisqu'il dépeint cette société patriarcale à travers l’oeil de la réalisatrice. Mais si nous devions en retenir une chose, ce serait plutôt le ton libertaire assumé par la réalisatrice, qui arrive, au-delà de ce machisme, à imposer la présence féminine. Gamze Ergüven montre sans aucune retenue ce qu'il y a de plus beau chez ces jeunes filles : leur insouciante liberté. Et tant pis pour ceux à qui cela déplait.