Notes autour d’Adiós a la memoria de Nicolás Prividera
Est-ce un film sur l'histoire d'un homme, sur l'histoire du cinéma ? Un documentaire sur un père à travers le regard d'un fils ? Ou bien, s'agit-il d'une tentative pour comprendre un pays à travers les images d'amateurs de ceux qui y ont vécu ?
Tout s'entremêle : les questions se superposent, et s'entre-appellent.
Les extraits musicaux répondent aux passages de livres, et une mémoire en fragments tâche de résister à la marche inexorable de l'oubli.
L'oubli, maladie d'un père ; l'oubli, maladie d'une société...
Il y a ce centre absent autour duquel est construit le récit : une femme, une mère.
Marta Sierra, apprendrons-nous, assez tard.
Silhouette fugitive, ombre insaisissable, a-t-elle été arrêtée, assassinée par la dictature ?
Ou bien s'agit-il d'une séparation moins glorieuse, peut-être moins romantique aussi ?
« Comment s’est-elle perdue ? », « Qu’est-il arrivé ? », demande le père à son fils ?
Comme un trou, un vide, qui donne à cette enquête sa portée universelle.
Ce sont les noirs de l'histoire, ce qui n'a pas été enregistré, comme un malheur, ou une résignation.
Celle d'une époque, du repli sur la vie privée, du désenchantement de tout projet alternatif au néolibéralisme.
Bien sûr, il s'agit de l'Argentine.
Mais cela devient aussi comme la métaphore d'un exil plus profond, comme si ce pouvoir conféré aux images pour affronter l'indicible était lié à la perte de la parole maternelle ‒ de son souvenir ‒, à travers la disparition d'un être aimé.
Un pouvoir fragile, comme un souffle, ou une voix, toujours sur le point de manquer, de disparaître sans parvenir à rassembler les traces, à en connaître le sens...
Entre le père et le fils, une caméra passe, des images circulent.
Un dialogue se fait malgré l'impossibilité de se remémorer ce qui s'est produit ; malgré la distance qui est celle d'une violence qui nous fait honte d'avoir été témoin, de n'avoir rien pu faire, d'être toujours là, parmi la foule, et que le seul geste à notre portée est celui de nettoyer ses chaussures d'une salissure accidentelle.
Et peut-être n'y a-t-il pas un seul sens à chercher : comme ces carnets désensevelis écrits de la main de ce père psychiatre dans un langage codé, dont on ne parvient plus à se rappeler la clé.
Ou comme ces noms notés au hasard, par associations, pour faire l'inventaire de toutes les figures qui ont traversé notre imaginaire ?
Un chemin dans les vestiges du temps, peuplé de fantômes aux visages sombres et souriants.
Un chemin qui ne va nulle part, qui tourne en rond, comme on se retourne dans tous les sens les nuits d'insomnie, sans parvenir à s'abandonner au repos.
Ou comme tournaient, tous les dimanches, les mères des opposants disparus, autour de la place de Mai ?
Ou encore comme tourner en rond, sur les sentiers du cimetière du Père La Chaise, sans une tombe familière sur laquelle se recueillir…
Sauf, peut-être, celle de l’Enfermé, Auguste Blanqui, dont la pensée se répète éternellement dans les doublures invisibles d’un univers sans fin, en exigeant des armes pour lutter contre l’ordre des choses.
Mais c’est, aussi, un voyage parmi les ruelles du présent, pour regarder dans les yeux les corps des vivants, pour ne pas accepter ; et refuser, avec Gramsci, l'indifférence du « monde tel qu'il est ».
Pour se demander quel pourrait être son devenir : que voulons-nous retenir, où voulons-nous aller ?
Des adieux à la mémoire qui permettent, peut-être, de goûter, par-delà les images, à la saveur du temps.