Notes autour de
Il est tard, levez-vous
L’eau coule en la baignoire,
Il faut laver ce corps que la nuit a souillé…
Robert Desnos, Le réveil
Il est tard, levez-vous
L’eau coule en la baignoire,
Il faut laver ce corps que la nuit a souillé…
Robert Desnos,
Le réveil
Comment ne pas y penser ? « DOUCHEFlux ». Ça sonne un peu comme un nom de camps, surtout quand c’est prononcé avec un accent flamand. Et puis il y a le sinistre trompe l’œil des chambres à gaz : quand on promettait aux déportés qu’ils allaient enfin pouvoir se laver…
Bien sûr, ce n’est pas ça la question – à moins d’être complètement parano – dans le film d’Effi et Amir. Qu’on se comprenne : il ne s’agit pas de dire que les clodos d’aujourd’hui seraient les juifs d’hier, ou les tziganes, ou les homos. Il n’y a aucune politique d’extermination systématique à l’encontre des naufragés des métropoles. Il n’y a d’ailleurs pas de politique du tout. Rien. Seulement une absence de vision, doublée d’une approche humanitaire qui vaut ce qu’elle vaut : une peau de chagrin. Mais au fond, qu’est-ce que j’en sais ? Et le premier mérite de Sous la douche, le ciel est de nous faire entendre qu’on ne connaît pas cette réalité, celle de la rue, avant d’avoir mis son nez dedans. Dans la merde, en l’occurrence.
Laurent d’Ursel est manifestement un personnage de la scène bruxelloise. Et rarement le nom d’« acteur de la société civile » aura été aussi fièrement mis à l’épreuve. C’est un sacré numéro : chercheur de grelots et de fruits desséchés. Dans son sillage, et de quelques-uns de ses acolytes, le couple de réalisateurs saute à pieds joints… dans le vide. À la recherche de la dignité perdue. Peut-être cette version « anderlechtoise » du Baron de Münchhausen a-t-elle quelque chose de déraisonnable, de provoquant voir de surréaliste. Qu’importe, l’inénarrable « lœuvrettiste » ne s’en laisse pas conter par les assis, ceux qui l’attendent au tournant ; ces immobiles qui tremblent dès qu’il menace de se passer quelque chose d’imprévu dans le paysage de Manneken Pis, et de l’Atomium.
On se demandera au passage ce que font ces boules qui roulent dans l’air azur de la capitale de l’Europe. Un reflet sphérique de notre propre néant ? Des bulles de savons d’une eau bénite ? Signe flottant d’une société liquide proche de son point d’ébullition ? Ou encore, une forme de solitude roulante et contagieuse comme le mercure hors du verre ? Geste artistique quoi qu’il en soit qui interrompt le film pour nous laisser revoir ce que nous avons vu, réfléchir à ce que nous avons entendu. Légers plans de coupes, en somme.
Que faire pour ceux qui sont dans la merde, se demande notre d’Ursel national. On peut chanter, pleurer, s’indigner ou en rire. Lui essaye de récolter des fonds pour offrir un abri provisoire à ses frères humains. Pas de morale, mais du shampoing. Des douches, le minimum d’intimité : lessive, consigne, bien-être. Après, ça les regarde, chacun ses histoires…. Est-ce un si grand luxe que de proposer un moment de respiration, un instant de répit au milieu de l’enfer?
Le cheval de bataille des « DOUCHEFluxiens » n’est pas l’intégration. Ce serait plutôt celui de l’émancipation. Non pas chercher à insérer des corps dans un système qui les a broyés : le travail rend libre, etc. Plutôt essayer de donner à ces individus une chance de sortir de l’horreur vague. Du zonage sans fin de ces miséreux qui sont la honte de nos sociétés. ( Ne croyez pas que quelqu’un soit compromis dans cette affaire… mais chacun est impliqué…) Sortir de la rue. Ou de ne pas y retomber :
Permettre aux précaires
De se refaire une beauté
Et de redresser la tête
Voilà la matière brute de ce film juste et tendre, mordant, émouvant. C’est un film direct, sans commentaire superflu, avec quelques échappées belles. Voici un groupe de gens qui luttent pour faire exister quelque chose d’inédit en dehors des cadres institutionnels, pas forcément contre eux. Même le dispositif de l’isoloir où les protagonistes se racontent comme dans les émissions de téléréalités trouve une certaine grâce : on accepte de ne pas savoir, on relance les dés. Plus proches de ces êtres qui nous font face, dans leur baignoire, derrière le rideau des apparences, la crasse des clichés. Et c’est tellement bon, on peut repartir.
… Il faut nourrir ce corps affamé de victoire,
Il faut vêtir ce corps après l’avoir mouillé.