Notes autour de Fantômes du passé (comment l’histoire est entrée en moi)
Comment se regarde un film ? Et comment en parler ? Lorsque les images se confondent avec le souvenir, les lignes qui cherchent à en restituer le sens baignent dans une sorte de silence. Et quelle est la matière de l’histoire ? À la fois ce qu’il y a peut-être de plus secret dans une vie, et de plus exposé dans le monde : le temps. Encore et toujours le temps. Avec ce dernier essai cinématographique, Boris Lehman en restitue l’énigme et nous oblige à faire retour sur ce qui s’écoule inexorablement.
Ce qui me frappe dans le cinéma de Boris Lehman, c'est que la caméra vise à donner forme à une absence.
À une interruption de la conscience.
À un dépassement du langage verbal pour rendre compte du réel.
C'est comme si par le jeu de l'image, le don du visible, s'ouvrait une possibilité d’espace là même où notre pensée ne peut plus suivre.
Là où nos mots sont débordés ; lorsque le silence frôle l'angoisse de disparaitre dans l'insignifiance.
L’absurde, et la destruction programmée.
Pour exprimer ce décalage, ce déphasage, cette dissociation, il y a la puissance du plan cinématographique qui, à chaque fois, présente le monde plutôt que d'en livrer un commentaire.
Des kilomètres de pellicule en guise de langue : n’est-ce pas toute la violence de l’histoire en soi ?
Et pour réparer cette blessure, il y a le mouvement d’un être qui s’interroge.
L’hiver au cœur de l’âme, il s’en va vers la lumière, et sa perpétuelle renaissance.
Ici, rien n'est à expliquer, tout est à rassembler, à réunir par le travail du montage.
Et pour articuler, pour associer librement les moments de ce qui se déroule face à l'objectif, il y a la voix.
Texte ou bien parole ?
Entre l'un et l'autre, le récit du cinéaste se fraye un passage poétique.
Entre ce qui est enregistré par la mémoire et ce qui est projeté sur l'écran, il y a comme l'incertitude du temps.
Un écart, une brèche, un tremblement.
Endroit propice à la rencontre avec le spectateur.
Indétermination qui rend le partage possible.
Il s'agit d'un espace-temps à la fois passé, archivé, et présent, quasiment vécu à fleur de peau, caressé du bout des doigts.
Quelque chose qui revient, quelque chose qui nous hante ou nous possède.
La transformation de ce qui a lieu en une trace pour le film futur constitue comme une mort sans cesse rejouée, déjouée, qui rompt la fatalité pour devenir la signature d'un destin singulier.
Exercices d’exorcismes, oui, si l’on veut.
Magie blanche, comme des cheveux.
C'est un questionnement modeste, en vérité, que celui de Boris.
Mais tenace, obstiné, endurant.
Dont la résistance, l'irrésignation, a quelque chose d'une sagesse enfantine.
Puis la nature, la ville, les femmes, la musique... les amis, l’atelier, les bobines.
Le ciel et la terre, les arbres, au milieu.
Qui dansent.
Autant de cartes pour attirer la chance, et rire sans mesure, du fond des yeux.
Nous sommes de plain-pied parmi ce peuple de fantômes, et on y respire à pleins poumons.
Enfin.
Le film sera projeté au cinéma nova ce dimanche 17 octobre 2021, 20h !