16 avril 2019, Notre-Dame de Paris s’embrase. Le feu épargne de justesse les gargouilles de la cathédrale. À la venue d’une jeune fille, sosie d’Esmeralda, les statues décident de la plonger dans l’œuvre de Victor Hugo. Au théâtre royal du Parc, quatre marionnettes prennent ainsi vie et emmènent le public à travers les moments phares du roman de 1831.
Que l’on ait découvert l’histoire de Notre-Dame de Paris par le biais de son adaptation cinématographique Disney, grâce à la comédie musicale française de 1998 ou directement avec les mots de Victor Hugo, les grandes trames de l’intrigue ne nous sont pas inconnues. Au XVe siècle, à Paris, une jeune gitane nommée Esmeralda danse sur le parvis de Notre-Dame, ensorcelant tout le monde sur son passage. Claude Frollo, archidiacre de la cathédrale, s’éprend de la jeune femme et décide de l’enlever avec l’aide de Quasimodo, carillonneur, qui éprouve lui aussi un amour impossible pour la bohémienne. Thierry Debroux, metteur en scène de ce Notre-Dame de Paris au théâtre royal du Parc, retourne à l’œuvre originelle pour en proposer une version condensée. Un parti pris ambitieux qui peut laisser le ou la spectateur·ice sur sa faim…
Ancré en 2019, année de l’incendie ayant partiellement ravagé la cathédrale, le spectacle établit une première distance temporelle par rapport à l’intrigue se déroulant au XVe siècle, intrigue dont bon nombre d’aspects paraissent aujourd’hui problématiques. Un point heureusement soulevé par la protagoniste elle-même, soulageant le ou la spectateur·ice d’un poids. Tous les hommes se battent pour obtenir les faveurs d’Esmeralda. Tous sont envoûtés par sa beauté, par la sensualité de ses mouvements et de sa démarche dansante. Frollo, Quasimodo, Phœbus : nul ne peut résister au charme de la danseuse, mais cela va bien au-delà. Les hommes en vont jusqu’à la manipuler, la kidnapper, l’agresser physiquement… Esmeralda est dépeinte comme impuissante, jusqu’à ce que la jeune fille qui l’incarne (interprétée par Marie Phan), ne se « réveille » pour dénoncer les tendances sexistes et misogynes de l’histoire. Un tournant féministe bienvenu, et même primordial au XXIe siècle.
À l’image de la cathédrale qui l’a inspiré, le roman de l’auteur français peut être qualifié de colossal. Plus de 900 pages rassemblées ici en 1h20… Si le spectacle semble s’écouler en un clin d’œil, une sensation de manque subsiste. Alors que les quatre gargouilles, sous forme de marionnettes, ne font qu’introduire les prémices de l’intrigue avant de laisser la scène aux acteurs et à l’actrice, le dénouement n’est que narré rapidement par ces mêmes gargouilles. Il n’est, en quelque sorte, pas donné à voir, il n’est pas incarné devant nos yeux, laissant une impression légèrement amère, comme si une petite centaine de pages avait été subitement sautée pour atteindre « The End ».
Le théâtre royal du Parc ne déçoit par contre pas au niveau de la scénographie (confiée ici à Vincent Bresmal et Matthieu Delcourt). Une maquette réduite de la cathédrale est érigée au centre de la scène, pivotant de temps à autre sous la main d’un · e acteur·ice. Toute la magie règne dans les jeux de lumière projetés sur la mini Notre-Dame (par Philippe Catalano), plongeant le public dans une atmosphère féériquement médiévale. La cathédrale semble ainsi prendre feu sous nos yeux émerveillés avant de s’éteindre dans le froid de la nuit. Tout est là pour nous emmener dans le Paris du XVe siècle, notamment les magnifiques costumes des acteurs et de l’actrice.
Pour faire vivre l’histoire, les acteurs et l’actrice font preuve d’une versatilité impressionnante. Mickey Boccar, Didier Colfs, Stéphane Fenocchi et Marc Laurent incarnent à la fois les célèbres personnages de Victor Hugo (respectivement Phœbus, Frollo, Quasimodo et Gringoire) et s’emparent chacun d’une marionnette pour jouer les quatre gargouilles, ou plutôt les trois gargouilles et l’unique chimère… D’une voix presque cartoonesque, ils se lancent des piques, se chamaillent, se moquent des personnages de Victor Hugo, une manière légère et humoristique de se distancier un peu plus de l’intrigue. Les rires, parfois enfantins, se font entendre dans la salle et cela fait du bien.
Une mention spéciale doit être évidemment accordée à Marie Phan, interprète du personnage d’Esmeralda et de la jeune fille à qui les gargouilles racontent le chef-d’œuvre de Victor Hugo. Mélangeant différents styles de danse (hip-hop, contemporain, danse bohémienne, etc.), l’actrice captive autant Frollo, Phœbus et Quasimodo, que les spectateur·ice·s, des passages de danse particulièrement beaux que nous devons à la chorégraphe Emmanuelle Lamberts.
Finalement, de la même manière que la cathédrale a été relativement épargnée par l’incendie d’avril 2019, les fondamentaux du roman sont épargnés par les abrégés que fait la pièce. Malgré d’importantes coupures, le spectacle offre une version, certes raccourcie, mais réussie du classique français. Si les spectateur·ice·s plus connaisseur·euse·s de l’œuvre peuvent ressentir une pointe de déception à la fermeture du rideau, la plupart sortiront de la salle tout simplement rassasiés.