critique &
création culturelle
Occupation des Gaufreries Champagne

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« C’est très sympathique »

C’est la réponse d’une dame à qui André Dartevelle tend son micro sur les cendres encore chaudes des Gaufreries Champagne, la question étant : « Qu’est-ce que vous pensez de l’occupation des ouvrières ? »

Car elles ont décidé de ne pas se laisser faire, les jeunes filles menacées par la fermeture de l’usine pour cause de fraude sociale, le patron ayant allègrement puisé dans les cotisations. Résultat : déficit de trente millions de francs belges (nous sommes en 1975) et faillite prononcée par le tribunal de commerce pour cette petite entreprise de Moustier-sur-Sambre.

Alors, elles font grève et elles s’autogèrent afin de montrer que l’entreprise est viable. D’où vente de gaufrettes sur le parvis, pour le bonheur des passants, ouvriers des environs venus les soutenir, directeur général conciliant, ou encore syndicalistes entourant le mouvement.

Le reporter et le réalisateur posent leur caméra au cœur de la résistance, filment les réactions externes, les réunions internes, et scrutent ces visages hésitant entre l’acceptation et la revanche. C’est là, au plus près de leur sujet qu’ André Dartevelle et Gérard Corbiau (un peu oublié du programme du Weekend du doc) cherchent la vérité de ces femmes habituées à travailler dans des conditions infâmes et à se résigner.

Aux scènes collectives d’organisation succèdent d’autres scènes plus intimistes, centrées sur l’une ou l’autre de ces ouvrières , littéralement coincées par les auteurs qui les assaillent de questions en même temps qu’ils tentent de les cerner par une caméra mobile très portée sur les très gros plans.

On a l’impression d’assister à un éveil social de travailleuses pour la plupart dépolitisées et peu férues de questions sociales mais qui soudain prennent conscience de leurs droits et petit à petit osent résister à la mainmise patronale. Pour les accompagner dans cette conscientisation, les syndicalistes sont présents , qui les abreuvent d’explications sur la légitimité de tout mouvement de grève, dont l’illégalité prétendue repose sur « les lois de bourgeois », posent les bases de leur réflexion et en encouragent la matérialisation par l’occupation, « moment privilégié pendant lequel on peut parler avec le travailleur ».

Également présent, le mouvement féministe qui tâche lui aussi d’ouvrir la brèche d’une réflexion sur leur condition de femmes. Intervention qui donne lieu à des scènes cocasses, comme quand la militante demande : « Bon, qui est contre la pilule ? » et qu’une ouvrière répond : « Moi, je ne suis pas contre mais je ne la prendrais pas » ; puis, plus loin, abordant le plaisir au féminin, lorsque la militante leur conseille d’en parler en couple, avec leur mari ou leur compagnon et que dans l’assistance s’élève un : « Quand il veut bien parler… parce que les hommes… ». Réaction outrée de la féministe : « Mais tous les hommes ne sont pas comme ça ! Il ne faut pas faire l’amour avec un homme qui ne vous parle pas ! »

Femmes et travailleuses en devenir, ces ouvrières des Gaufreries Champagne ont quelque chose d’attendrissant qui fiche pourtant le sourire , dans la veine des reportages à la Strip-tease auxquels Dartevelle n’est pas étranger. Révélateur d’une époque et de ses mentalités, L’atelier a quinze ans est devenu avec le temps une pépite historique qu’il est par ailleurs encore possible de voir sur le site des archives audiovisuelles de la RTBF .

Courez-y, cela ne dure que onze minutes !

Même rédacteur·ice :

L’atelier a quinze ans

Documentaire d’ André Dartevelle
Belgique , 1975, 11 minutes