Ne vous fiez pas au titre. Ou alors indirectement. Planetarium ne vous conte pas le chant universel des astres. Et si le troisième long métrage de Rebecca Zlotowski compte sur le champ universellement désastreux de la fin des années 1930, ce n’est que pour mieux renvoyer l’humanité aux affres de sa haine.
Mais dans la nuit qui se prépare brillent trois étoiles filantes, trois feux follets rattrapés par leur destin, tandis que se monte sur des sables mouvants un film dans le film. Il fallait bien un casting international porté par Natalie Portman et Lily-Rose Depp pour le côté américain francophile, et par Emmanuel Salinger pour le côté français américanophile. Ajoutez à cela une coproduction belge (merci le
tax shelter). Et vous obtenez le dernier film de Rebecca Zlotowski.
Par une nuit de train à couchettes insomniaque, les sœurs Barlow débarquent à Paris pour y jouer leurs séances de spiritisme dans le cadre d’une tournée mondiale. La fratrie américaine y pose finalement ses valises plus longtemps que prévu, emportée par la lubie d’un producteur français qui rêve de graver sur pellicule les convocations fantomatiques auxquelles s’adonnent Laura et Kate. La Ville Lumière s’électrise inconsciemment, à l’orée des années 1940, tandis que le bruit des bottes se rapproche à grands pas, sans que personne n’en fasse encore grand cas.
C’est cette inconscience grisée, cette insoutenable légèreté de l’air, que la réalisatrice et scénariste, Rebecca Zlotowski, a voulu capter avec son Alexa 65, caméra numérique dernier cri. Elle s’est attachée, sans trop le vouloir, sans vraiment le savoir, à deux figures historiques qui ont donné corps à ses personnages, tout en laissant libre l’âme. Les sœurs Fox, d’abord, ont inspiré les sœurs Barlow. Le trio des premières s’est rendu célèbre par ses pratiques de spiritualisme dans les États-Unis de la fin du XIX e siècle. Le duo des secondes s’inscrit dans l’entre-deux-guerres, juste avant la deuxième à vrai dire, quand la gangrène nazie se dessine sans dire encore son nom. C’est à cette époque justement que le producteur français Bernard Natan a le tort d’être juif et à la tête du conseil d’administration de la société de production de films Pathé. Rebecca Zlotowski avait imaginé le rôle d’André Korben sans connaître son modèle. C’est plus tard qu’elle fut avisée de l’existence en chair et en os de son personnage, qu’elle a dès lors raccroché à son malheureux modèle.
Ce n’est pas tirer le portrait de ces habitants de l’histoire à travers une fresque mémorielle que la réalisatrice souhaitait proposer. Ou alors un portrait réaménagé, au service de la fiction. Un récit qui lui appartient, tissé d’associations particulières dont elle seule a le secret. Enfin, elle et Robin Campillo, son coscénariste, dont Rebecca Zlotowski a tant aimé les Revenants et Eastern Boys. Elle ne cache pas son plaisir d’avoir pu travailler avec le collaborateur de Laurent Cantet, pétri de la même glaise scénaristico-réalisatrice qu’elle (le montage en plus). Diplômée de la Fémis , option scénarisation, Rebecca Zlotowski a (co)scénarisé une bonne dizaine de films depuis sa sortie de l’ancien Institut des hautes études cinématographiques en 2006, y compris les trois longs métrages qu’elle a réalisés elle-même, Belle Épine (2010), Grand Central (2013) et Planetarium (2016). Ils sont pas mal, dit-elle, à emprunter la voie scénaristique pour arriver ensuite à la réalisation, dans l’idée d’abord de se mettre au service d’un film bien écrit. Puis, avec le temps, vient l’envie de mettre en scène le texte, dans la tradition auteuriste mise au jour par les Cahiers du cinéma version Nouvelle Vague, ceux-là même qui érigèrent la statue du metteur en scène auteur.
Étonnamment, ce qui frappe surtout dans le dernier film de Rebecca Zlotowski, c’est précisément l’image, léchée, esthétisée, costumée, et surtout terriblement habitée par ses trois protagonistes qui rivalisent de photogénie. Natalie Portman, Lily-Rose Depp et Emmanuel Salinger embrasent une caméra qui ne se lasse pas de les gober, comme fascinée par la beauté qui s’en dégage, comme happée par leur aura. La réalisatrice désirait capter chez eux les soubresauts de la possession par les fantômes convoqués.
Une autre volonté de possession s’invite pourtant à l’écran, et celui-ci dévoile une mise en scène goulûment dévolue à ses acteurs, presque dévorée par ces derniers. En ressort un enchaînement parfois laborieux de scènes, qui constituent pourtant, prises séparément, autant d’hymnes au cinéma. Car le vrai sujet du film n’est pas tant le spiritisme, ou le prologue de la Deuxième Guerre mondiale, qu’un chant d’amour au cinéma, à travers une mise en abyme classique qui ravira néanmoins certains spectateurs.