Peter Cat Recording Co.
Nostalgindie made in New Delhi
Avec un troisième album, BETA, et une tournée 'Good Luck Beta Tour 24', Peter Cat Recording Co., le quintet au genre inclassable se réinvente une nouvelle fois et transforme l'Orangerie en temple de nostalgie.
Ses 570.000 auditeurs mensuels sur Spotify et sa communauté Instagram grandissante (100.000 followers) ne trompent pas : Peter Cat Recording Co. (PCRC) est devenu l’un des plus grands groupes underground contemporains d’Asie du sud. Si jusqu’ici l’afro-beat, la K-pop et le reggaeton ont eu la part belle sur le continent européen, PCRC déborde d’atouts pour amener la scène musicale indienne sous le feu des projecteurs. Ou en tout cas, au moins se frayer un chemin jusqu’à vos oreilles.
La découverte de « Portrait of a Time » en 2019 m’a entraînée, avec sa ligne de basse réconfortante, dans une écoute frénétique des deux premiers albums Portrait of a Time : 2010-2016 (2017) et Bismillah (2019). Deux coups de cœur immédiat, avec pour fil conducteur, la voix d’une beauté brute de Suryakant Sawhney1 qui chante joyeusement une tristesse universelle, les rythmes syncopés de Karan Singh empruntés aux boîtes de jazz des années 50, la trompette et le clavier de Kartik Pillai qui façonnent, sur des textes qui tutoient humour et introspection, un monde onirique dont il n’est pas aisé de se défaire. Si un chat peut avoir neuf vies, PCRC possède lui aussi une multitude de dimensions2. Il serait donc plutôt hasardeux de le qualifier de groupe de rock ou de jazz sans trahir son étonnante hybridité et l’énergie de réinvention perpétuelle qu’il déploie dans sa discographie depuis ses débuts en 2010. Le quintet – qui a perdu des membres et en a gagné d’autres au fil des ans – est résolument alternatif, dissipe les frontières entre les genres, et mêle habilement son héritage indien à une recherche sonore continue.
Produit par les membres du groupe, leur dernier opus BETA3 se présente comme une « collection d’histoires sur le futur racontées depuis le passé, pour comprendre le présent sur notre seule maison : la Terre »4. L’album est, encore une fois, un condensé singulier de nostalgie placé sous le signe du rêve, de la fusion des genres et du temps. Il multiplie les instruments (trompettes, beat disco, synthés chromatiques, dholak, etc), les effets sonores et les voix qui prennent place derrière le micro5. En ouverture, « Flowers R. Blooming », explore un style bucolique, tandis que « People Never Change » et « Control Room » revisitent les influences Bollywoodiennes des années 70 avec des cuivres chantants et des percussions où s’invite le soleil. Dans un registre plus introspectif, les accents acoustiques de « I Deny Me » signé Dhruv Bhola et les mots tendres de « Foollmuse » interprétés par Kartik Pillai, insufflent fraîcheur et emphase à cet assemblage de treize titres quelque peu disparate. A l’instar de ses pères, BETA affiche une maturité nouvelle, avec des textes traduisant l’évolution personnelle de ses membres, qui s’autoproclament désormais avec humour « daddy-band ». Sans doute appelle-t-il une écoute plus rigoureuse que ses prédécesseurs pour que la magie opère, mais des morceaux tels que « Seed » et « Suddenly » méritent amplement une exploration approfondie.
Les étoiles se sont alignées sur le passage de PCRC au Botanique, le 24 novembre dernier, sans première partie, car le groupe a la réserve pour captiver son public – cosmopolite ! – pendant plus d’une heure et demie. En vraies « divas », les musiciens sont montés sur scène sous le coup de 20 H 46, la faute – a-t-on soufflé dans le public – à un rituel de purification énergétique que nos moyens d’investigation ne nous ont toutefois pas permis d’objectiver. On vous confirme, par contre, que le concert a débuté avec plus d’instruments que de musiciens et que les dehors crâneurs de Sawhney – qui épuise ses cigarettes dans le plus grand des calmes – n’enlèvent rien au magnétisme du groupe. Le ballet des artistes qui dérobe le micro du leader pour interpréter leurs propres compositions a ouvert une brèche permettant quelques échanges furtifs avec le public. C’est là que l’humour désarmant de Kartik Sundareshan Pillai – qui n’hésite pas à se moquer frontalement de la difficulté des européens à prononcer son nom kilométrique – a joué de son charme et dévoilé le côté décalé du groupe. Mention spéciale à la batterie à contretemps du titre « Floated By » qui rappelle celle de Matt Helders des Arctic Monkeys et imprègne lui aussi l’air de son empreinte nostalgique. Le concert culmine sur (le très attendu !)6 « Love Demons » accompagné d’une jam session aux claviers très 70’s, absolument magnifique. Sans décors ni extravagance, avec une nonchalance assumée et au moins autant de générosité, PCRC a offert un patchwork des meilleurs titres de sa discographie.
Il est des groupes qui perdent toute leur saveur en concert. PCRC n’en est pas, il magnifie le temps. À la question « Peut-on aller à un concert de PCRC sans avoir écouté ses albums ? », on répond, sans hésiter, positivement. Le groupe qui aspire à être un projet musical et filmographique compris universellement et à rencontrer notre humanité par-delà les frontières a tenu ses promesses. Les musiciens multi-instrumentistes touchent des cordes qui résonnent avec la sensibilité de chacun·e, font appel au patrimoine nostalgique commun, celui qui vous emporte dès les premiers accords quelque part en insouciance, au milieu des champs d’un été qui s’étire à l’infini, sur les pavés humides d’un mois d’avril fleuri, à l’heure des premiers amours, ceux qui durent toujours. Bref, leur musique convoque un voyage chimérique où il est fortement conseillé de se perdre.