« Il n’est plus question de nous rendre maîtres de ce monde, mais de nous rendre maîtres de nous-mêmes », affirme Wen, l’héroïne de Résolution . Dans son nouveau roman, Li-Cam interroge non seulement notre relation au monde mais aussi, et surtout, notre propre nature humaine.
« - Nous rêvions.
- Il était une fois…
- Dérèglement climatique, crises financières à répétition, migrations de masse, guerre sans fin, empoisonnement irrémédiable des écosystèmes, épidémies, famines, corruption endémique…
- Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…
- Non, tu te trompes, Manfred. Et ils s’entretuèrent. »
Depuis son enfance, Wen se sent étrangère au monde, en perpétuel décalage. Elle est trop lucide, trop empathique ; la souffrance de la Terre devient la sienne. Le changement climatique lui poignarde l’estomac. La haine qui se déverse aux quatre coins du globe, toujours plus vite, toujours plus fort, au fur et à mesure que le système s’emballe, la terrasse d’angoisses.
Spectatrice de la dépression planétaire, la protagoniste commence à réinventer le monde, un « monde selon Wen » qu’elle décrit sur son blog et qui finira par éveiller l’intérêt d’une équipe de chercheurs. Les réflexions et les analyses fouillées de Wen, ainsi que ses recherches en neuropsychologie sociale, vont servir de base à la construction d’une nouvelle société utopique : l’Adelphie.
Tout au long de Résolution , le lecteur est emporté dans les torrents de pensée de l’héroïne, balloté entre ses souvenirs du monde (ou plutôt, de ce qu’il en reste), son présent à l’Adelphie et ses périodes hallucinatoires, dans un mélange à la fois chaotique et fluide. Lorsqu’elle nous emmène dans les méandres de l’esprit de Wen, la plume de Li-Cam, à la fois hachée et entraînante, pleine d’anaphores, le reflète bien : Wen « déborde ». D’images, de couleurs, de réflexions, de données qu’elle ne peut s’empêcher de collecter et d’analyser en boucle. D’émotions aussi, bien qu’elle s’en protège en permanence en s’enfermant dans la solitude et dans ses rêves éveillés.
« La musique caresse mon âme. Je surfe sur un chœur de violons. Et Mickey vient lire par-dessus mon épaule. Je remplis un gigantesque tableau comportant des dizaines de colonnes et des milliers de lignes. […] Il s’agit d’un modèle dynamique, comportant des États, des entreprises privées, des mécènes, des profils d’individus, des compétences, des équipements, des noms de projets et des budgets. Colossaux. Parfois, je cesse de taper, m’empare d’une case ou d’un bloc entier que je fais glisser dans tous les sens à droite, à gauche, en haut, en bas. L’apprenti sorcier me regarde, horrifié. Je lui souris puis claque des doigts et, à la place du fichier, apparaît une gigantesque toile multicolore, une tapisserie abstraite d’une beauté à couper le souffle. Je dézoome de plusieurs années-lumière. Reliées les unes aux autres par un complexe réseau de forces, des milliards d’étoiles pulsent. Autour de chacune d’elles orbitent des planètes grouillant de vie. Des milliards de mondes en un. Tous différents. Changeant sans cesse. Dans ma tête. »
La force de Résolution , outre son style d’écriture, réside dans sa puissance évocatrice. D’une part, le roman dépeint le portrait dystopique d’un monde en proie au racisme, aux fake news , à l’individualisme extrême, au sexisme, à l’homophobie, à un capitalisme devenu fou. Il montre de manière effrayante comment le désespoir de l’humanité peut accroître ses tendances les plus basses et la jeter dans un cercle vicieux infernal. Mais il présente d’autre part le projet utopique de l’Adelphie fondé sur la coopération, la tolérance, l’égalité et le respect. Sur le premier monde règne la guerre, encouragée par l’intelligence artificielle Lune . Sur le second, l’harmonie est garantie grâce à une IA prénommée Sun , une sorte de psychologue parfaite qui parvient à cerner tous les Adelphes pour les amener à s’épanouir tout en les incitant à être vertueux.
Grâce à ce contraste saisissant, Résolution soulève bon nombre de questions pertinentes sur la nature humaine, sur sa beauté mais aussi sur sa dangerosité ; sur sa grandeur mais aussi sur sa petitesse. Li-Cam traite de ces interrogations fondamentales à travers la critique d’une société qui est la fille cauchemardesque de la nôtre et ses réponses personnelles en faveur d’un système alternatif.
Kay, la dernière recrue de l’Adelphie, illustre parfaitement cette tension présente en chaque être humain ainsi que l’influence de la société sur les individus. Hacker provocateur et irrespectueux dans un monde de plus en plus hostile, il évoluera progressivement dès son arrivée sur l’île pour finalement parvenir à s’intégrer dans la communauté des Adelphes.
« - Je communique mal, Kay. J’espère sincèrement que tu vas trouver ta place parmi nous.
Cette fois, Kay élève la voix.
- You’re kidding me ! F you !
[…] J’espère sincèrement qu’il aura la force de se réinventer parmi nous. […] S’il n’y parvient pas, il ne retournera pas sur le continent, j’y veillerai. Sa présence ne nous met pas en danger. Elle nous ramène à notre humanité, à notre responsabilité les uns envers les autres. »
La richesse de cette œuvre, par ailleurs assez courte, est vraiment impressionnante. Mais on pourrait pointer certaines failles. Wen est parfois si confuse que cela en devient contagieux. Ses hallucinations, intéressantes car elles offrent une profondeur artistique au personnage et au roman, pourraient cependant peut-être égarer quelques lecteurs. On pourrait aussi regretter que certains points et personnages ne soient pas davantage fouillés, que le rôle si central confié à l’IA Sun ne soit pas davantage interrogé.
Résolution aborde une palette immense de sujets fondamentaux (autant psychologiques que politiques, économiques, écologiques et philosophiques). Il s’agit d’une belle invitation à la réflexion, d’une esquisse dont l’originalité et la poésie particulière sauront en charmer plus d’un.